- société
Les pèlerinages et les odyssées sont toujours apparus comme des explorations intérieures de soi-même. Qui n’aimerait pas faire de temps en temps, une balade nocturne dans les ruelles sinueuses de la ville de Tunis. Une aventure imprévisible, ne comptant plus les heures passées. S’enfoncer dans les cafés qui vont peux à peux éteindre leurs lumières avec une aube plus redoutable.
Arriver jusqu’au bout de l’avenue Habib Bourguiba et en revenir comme si on revenait de très loin.
Sentir, écouter, voir des événements minces mais tellement spécifique à cette ville mystérieuse comme le bruit d’une poubelle bousculé par les chats, une ronde d’agents, le sourire étouffée d’un couple amoureux, le passage d’un motard ou d’un cycliste.
Tout ceci apparaît comme de brèves traces lumineuses ou sonores dans la mémoire d’une nuit qui risque de nous engloutir.
Sauf que voilà, lorsque les villes grandissent d’une façon inquiétante, l’homme, l’être sensible ne se retrouve plus dans cette ambiance nocturne. Un sentiment précaire nous envahit lorsque nous rodons la nuit dans les rues de la ville de Tunis à la vue d’un tas de saleté qui orne lugubrement les trottoirs. La ville de Tunis perd de ses couleurs pour laisser places au sinistre, au louche, aux animaux errants, à la charogne et à la salissure.
Brusquement on ressent la neutralité face à cet espace urbain. On devient indifférent, endurci et imperturbable à la vue de la crasse qui envahit nos rues. A quoi cela sert de préserver la propreté de l’artère principale si les veines sont souffrantes. La ville historique ; à savoir la Médina de Tunis et la ville neuve sont agonisantes. Elles deviennent brusquement obstacles, zones indifférents, points chauds, nœuds, des goulots d’étranglement et j’en passe. Tunis devient une ville hétérogène à l’image de ceux qui l’habitent et sur un plan métaphysique nous la sentirons de plus en plus absente et lointaine et une manifestation de la nostalgie nous écorche à la recherche vaine et obstiné du beau transcendant de la ville qu’elle était.
On la traite comme si elle ne faisait plus partie de ce petit territoire. Nous délaissons la ville qui a fait émerger toutes les villes de la Tunisie.
Mais pourquoi, pour quelle raison ?
La faute est à qui ?
Devrons-nous blâmer le simple citoyen qui vient pour faire ses courses ?
Devrons-nous blâmer les commerçants qui vous ressortent à chaque fois la phrase miracle » Mais nous payons des impôts pour que la municipalité fasse son travail ? »Devrons-nous blâmer l’état qui se voit submerger par tant de responsabilités à commencer par les marchands clandestins qui nuisent à l’image de la ville et à son économie ? Les questions nous fracassent chaque fois que nous tentons d’aborder l’état actuel de la ville de Tunis.
Aujourd’hui nous rêvons d’une promenade plus agréable et la plus instructive dans l’artère principale comme dans les veines. Nous aimons à voir des itinéraires à trajet exemplaire, des parcours rapides et des avenues plus propres et des rues plus chargées d’histoire et où la municipalité fera de son mieux pour que nous retrouvions la ville qu’on a toujours chéri. Y lire notre destin et réussir à la déchiffrer de nouveau.
La ville de Tunis était et elle demeurera encore pour beaucoup d’entre nous le lieu de tous les espoirs, de toutes les détresses- notre chance de vivre. On comprend mieux maintenant pourquoi le visage de cette ville et le sens de sa destinée se rejoignent. C’est dans cette ville que se nouera et se dénouera notre passion d’exister, l’envie que tout aille pour le mieux. Les rues, les façades, les souks, les boutiques, les échoppes, les cafés, les monuments aiment à savoir que nous ne serons pas muets face à ce que vit cette ville millénaire, non pas pacre qu’elle transmet un message venu d’ailleurs mais parce qu’elle est le témoin de notre histoire individuelle et collective.
E.K