Par Dr Hatem BOUZAIENE
Professeur en Chirurgie Carcinologique-
Dans la langue française, un oxymore est une figure de style qui vise à rapprocher deux termes que leurs sens devraient éloigner. Le sein est associé à la féminité, avec toute sa beauté et sa sensualité et également à la maternité, avec toute sa sécurité et sa sérénité. Le cancer, par contre, est associé par son traitement, à la mutilation et à la « laideur » et par son pronostic, à la peur et à l’anxiété. C’est cette contradiction qui fait du cancer du sein, une pathologie à part où se mélange le physique et le psychique. En effet, le traitement doit tenir compte du pronostic vital mais également du désir de la patiente à retrouver son corps et sa vie d’avant, une fois cette épreuve dépassée.
Le paradoxe se trouve également dans le fait qu’on continue à compter des échecs de prise en charge bien que ce cancer touche un organe accessible et non vital et bien que des avancées thérapeutiques extraordinaires aient été réalisées. En effet, la médecine a très vite compris ses limites puis qu’une fois dépassé un certain stade, la guérison n’est plus possible et face à un mal difficile à traiter, la médecine n’a d’autres solutions que de se tourner vers la prévention, d’où la question tant posée « comment faire pour éviter le cancer du sein ? ».
Cette question nous amène à parler des facteurs qui sont à l’origine de ce cancer, que l’on appelle facteurs de risque. Le premier facteur est le sexe, certes le cancer du sein existe chez l’homme, néanmoins il reste rare, ne représentant que 1 à 2% des cancers du sein.
L’âge est également un facteur de risque puisque le cancer du sein est rare avant 35 ans puis son incidence augmente pour atteindre un pic entre 50 et 60 ans. Le troisième facteur et non des moindres est l’hérédité, en effet, une histoire familiale de cancer du sein majore le risque relatif de ce cancer et la mutation des gènes BRCA1 et BRCA2 prédispose au cancer du sein dans respectivement 80% et 25% des cas.
D’autres facteurs peuvent augmenter le risque d’avoir un cancer du sein à savoir les facteurs hormonaux (puberté précoce ; ménopause tardive ; absence d’allaitement ; nulliparité ; première grossesse tardive (>35 ans) ; les traitements hormonaux notamment à base d’œstrogène ; etc.), les antécédents personnels et familiaux de certains cancers et les antécédents personnels de certaines pathologies mammaires bénignes.
L’obésité, l’alimentation riche en graisse animale, l’alcool, le manque d’activité physique et le tabac jouent également un rôle dans la survenue du cancer du sein.
En regardant ces facteurs, force est de constater qu’il est très difficile d’agir sur la plupart d’entre eux. Par conséquent la prévention primaire, définie par un ensemble d’actions à entreprendre pour éviter une maladie, est très difficile dans le cancer du sein. En revanche là où il est vraiment possible d’agir c’est dans le diagnostic précoce et le dépistage, c’est ce que l’on appelle la prévention secondaire.
Le diagnostic précoce est défini par la découverte de la maladie quand elle est au début des symptômes, grâce à l’autopalpation et à l’examen clinique chez le médecin.
Le dépistage est défini par la découverte de la maladie quand elle est encore asymptomatique, grâce notamment à la mammographie.
L’objectif de la prévention secondaire est de diagnostiquer la maladie aux stades de début avec une double conséquences : de meilleures chances de guérison avec des taux dépassant les 90%, atteignant même les 100% pour le carcinome in situ et de plus forte chance d’éviter l’ablation du sein, des explorations et des traitement médicaux plus lourds et plus coûteux.
Le cancer du sein est l’exemple type d’une maladie où la prévention secondaire peut être particulièrement efficace, d’ailleurs ce n’est pas par hasard, que la plupart des pays ont concentré leurs efforts sur ce type de prévention et que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) l’encourage particulièrement. En effet, pour qu’une maladie se prête bien au dépistage, il faut plusieurs conditions : Il faut qu’elle constitue, par sa fréquence et sa gravité, un problème de santé publique ; il faut que son histoire naturelle soit bien connue ; il faut qu’il y ait un test de dépistage efficace, accessible et non contraignant ; il faut qu’il existe un traitement efficace des stades précoces et enfin il faut qu’il y ait un bon rapport coût/efficacité du dépistage. Toutes ces conditions sont remplies par le cancer du sein et l’intérêt du dépistage a été prouvé par plusieurs études scientifiques de grandes envergures.
Les modalités de cette prévention secondaire ont été bien établies. L’autopalpation doit être réalisée une fois par mois de préférence 2 à 3 jours après la fin des règles. Il s’agit d’une action simple et non coûteuse, la femme fera elle-même son propre examen. Dévêtue jusqu’à la ceinture, sous un bon éclairage, la femme se placera devant un miroir et fera un examen bilatéral et comparatif des 2 seins. Elle rechercha par simple inspection des modifications au niveau du volume, de la peau et du mamelon. Une rétraction, une rougeur localisée, un méplat, une voussure, une ulcération, un nodule cutané (de perméations) ou un œdème, sont autant de signes pouvant attirer l’attention. Puis elle fera une palpation, les mains bien à plat, elle utilisera les doigts pour exercer une légère pression sur le sein avec des mouvements rotatoires, la main gauche palpera le sein droit et vice-versa. Cette palpation permettra de rechercher le signe le plus fréquent du cancer, le nodule mais également toute autre modification de forme ou de consistance d’une partie du sein. Elle exercera après une petite pression sur le mamelon à la recherche d’un écoulement non lactescent (séreux ou sanguinolant). L’examen se terminera par la recherche d’adénopathies (ganglions augmentés de taille ou durs) sous les aisselles. Tous ces signes ne sont pas forcément synonymes de cancer mais doivent alerter la femme pour aller consulter.
L’autre méthode de diagnostic précoce est l’examen clinique chez le médecin, une fois par an. Cet examen peut se faire chez un spécialiste ou chez le médecin de famille.
Cependant l’exploration par mammographie est la méthode de référence pour le dépistage du cancer du sein, elle doit être réalisée tous les 2 ans.
Autant l’autopalpation et l’examen clinique ne posent aucune problématique et peuvent être commencés très tôt, à partir de 35 ans, même si la maladie est rare à cet âge, autant la mammographie pose le problème du coût, de la disponibilité du matériel et des radiologues, de l’irradiation, quoique très faible et surtout de l’efficacité. En effet, la mammographie n’est pas performante sur des seins encore denses. Pour toutes ces raisons, le dépistage par mammographie commence dans la plupart des pays à partir de l’âge de 50 ans.
En Tunisie, sachant que la moyenne d’âge de survenue du cancer du sein est de 5 à 10 ans moindre que dans les pays occidentaux, il a été établi dans les recommandations menées sous l’égide de l’INEAS (Instance Nationale de l’Evaluation et de l’Accréditation en Santé), qu’il est conseillé de commencer le dépistage par mammographie à l’âge de 45 ans.
Ces recommandations s’inscrivent dans le cadre de plusieurs efforts menés à la fois par des organismes gouvernementaux, d’autres non gouvernementaux et des organismes privés en finançant plusieurs évènements et campagnes menés par les sociétés savantes et les associations qui ont fait du cancer du sein leur cheval de bataille.
La Tunisie a ses particularités épidémiologiques mais également budgétaires. Le dépistage organisé par mammographie (s’adressant à toute la population féminine à partir de 45 ans) demande beaucoup de moyens et des plateaux techniques performants d’autant plus que les critères établis pour un dépistage performant sont très exigeants (chaque mammographie doit être lue par 2 radiologues différents). D’où le choix d’encourager le diagnostic précoce par autopalpation et l’examen clinique par le médecin.
Forte d’un réseau de première ligne très important avec des médecins compétents et disponibles, la Tunisie a vu les campagnes de diagnostic précoce se multiplier dans le cadre d’une stratégie nationale qui a fait du cancer du sein une priorité. Dans cet effort national, les sages-femmes ont également joué un rôle très important. Ayant reçu au fil des années des formations dédiées, les sages-femmes tunisiennes sont devenues de véritables expertes en matière de préventions primaire et secondaire du cancer du sein.
C’est grâce à cette implication de tous les intervenants et notamment des médias qui ont osé non seulement parler de ce tabou qui était le cancer du sein, mais également vulgariser l’information afin de sensibiliser le maximum de femmes au dépistage, que la Tunisie a réalisé de belles réussites dans ce domaine. En effet, la taille moyenne de la tumeur au moment du diagnostic est passée de 65 mm dans le début des années 80 à 36 mm en 2012 et probablement moins aujourd’hui, selon une étude menée par l’Institut Salah Azaiez, centre de référence régional dans le cancer du sein pour l’OMS. Cependant, on doit doubler d’effort pour améliorer encore plus le pronostic de cette maladie.
Le cancer du sein existe et existera toujours et son incidence est en augmentation dans le monde et en Tunisie, du fait de l’amélioration de l’espérance de vie et du changement dans nos habitudes. Aujourd’hui, on compte plus de 2 millions de nouveaux cas par an dans le monde et 3000 en Tunisie.
La survenue de ce cancer est multifactorielle et la prévention primaire est difficile mais quelques conseils permettent de réduire le risque, notamment :
Mais plus que la prévention primaire, les efforts doivent êtres concentrés sur le diagnostic précoce et le dépistage :
Ces modalités s’adressent à toutes les femmes mais cependant elles peuvent être renforcées en fonction des risques, en effet ce dépistage peut commencer à un âge plus jeune et avec d’autres examens plus performants comme l’IRM en cas d’antécédents familiaux de cancer du sein où en cas d’isolement de mutations génétiques.
Le cancer du sein est grave quand il est diagnostiqué tardivement. Cependant, il est tout à fait curable sans séquelles et à moindre frais aux stades précoces. Sans compter que grâce aux avancées en matière de chirurgie réparatrice, les séquelles de la chirurgie sont très amoindries.
La femme tunisienne connue pour son courage et son sacrifice a tendance à privilégier le bien être de sa famille et notamment ses enfants avant le sien, reléguant ses problèmes personnels de santé au deuxième plan. Justement, chères Femmes, pour vos enfants, pour votre famille et surtout pour vous, faites vous dépister, soyez sans craintes, aujourd’hui grâce aux avancées thérapeutiques en Tunisie, comme ailleurs, le cancer du sein peut n’être qu’une épreuve de plus à passer dans votre vie pleine de défis et de réussite.