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Pauvres, riches, jeunes et moins jeunes, célibataires ou mères de famille… elles partagent deux points communs, une vulnérabilité psychologique et une addiction. Rien ne les prédisposait pourtant à perdre le contrôle de leur vie et de leur être.
Leila se relève doucement du matelas posé au sol sur lequel elle se détendait pendant sa séance de relaxation. Ses gestes sont très lents, pénibles, son regard fixe et semble se perdre dans le vide. “Je fête aujourd’hui mes 51 ans et je me sens très seule” dit-elle en souriant calmement. “J’aimerais tellement être auprès de ma famille”.
Internée à l’hôpital psychiatrique Arrazi depuis plus d’une semaine, cette mère de famille sans histoire était loin de se douter, il y a quelques années encore, qu’elle serait un jour hospitalisée dans une unité de désintoxication pour dépendance aux médicaments. Relaxation, sport, lecture, dessin, ping-pong, projection de film, soutien psychologique, les journées de Leila sont bien remplies car pour elle, “il s’agit d’être tout le temps occupée et surtout d’être assistée pour réfléchir à sa situation actuelle” explique le Docteur Fatima El Omari, psychiatre à l’hôpital Arrazi.
Ici, on lui réapprend aussi des choses simples du quotidien qu’elle a malheureusement oubliées : comment se brosser les dents ? Quand dormir ? Comment organiser sa journée ?
L’hôpital Arrazi a dédié une unité de désintoxication à ces femmes souffrant d’addictions depuis novembre 2009 afin de les prendre en charge. L’unité réservée aux hommes compte dix-huit lits, celle réservée aux femmes n’en compte que six. Une telle différence de nombre s’explique par le nombre moins important de femmes souffrant d’addictions, mais elle révèle notamment le tabou qui entoure la question de l’addiction féminine et le nombre important de femmes qui refusent d’en parler.
Pour Amal Chabach, psychiatre , “l’addiction est perçue comme une faiblesse ou une honte et très peu de femmes en parlent ouvertement”. C’est pour cette raison que “les femmes se consacrent moins au toxique et font plus attention à leur corps”, poursuit la psychiatre.
La plupart des femmes suivies pour leur toxicomanie au centre Arrazi sont âgées entre 16 et 30 ans ; elles sont soit célibataires, la plupart du temps étudiantes, déscolarisées, fonctionnaires ou encore employées dans le secteur privé. D’après les statistiques de l’hôpital Arrazi, ce sont les adolescentes qui se tourneraient plus vers le tabac et les psychotropes, des anxiolytiques non utilisés à des fins médicales mais de toxicomanie.
Si aucune étude n’a été réalisée à ce jour pour expliquer ce fléau, le Professeur Toufiq, médecin chef et chef du service psychiatrique de l’hôpital Arrazi, a bel et bien des explications fiables.
La 1ère explication est que les psychotropes sont plus faciles à consommer puisque’ils se procurent grâce aux prescriptions des médecins ou des pharmaciens facilement manipulables. En effet, les filles qui ont une addiction en général préfèrent se rendre chez un dealer, soit elles se font livrer à domicile (ce qui est possible aujourd’hui), soit elles s’en procurer par le biais d’un copain ou d’un petit ami.
Cela a été le cas de Nourhen, adolescente de 17 ans, hospitalisée pendant un tout un mois dans l’unité de désintoxication. A cause d’un petit ami la jeune fille a pu se livrer en quantité, et gratuitement, du Cannabis. “J’ai commencé à fumer à l’âge de treize ans, mais je consommais de manière occasionnelle. Du cannabis, il y en avait tout le temps et autant que j’en voulais. J’ai très vite augmenté ma consommation jusqu’à ne plus pouvoir m’en passer.”