Quand les femmes réinventent l’économie : l’entrepreneuriat solidaire au cœur du changement
- société
Femmes Maghrébines : Imen, parlez-nous vos débuts et de votre jeunesse.
Imen Fantar :
« Jeune, j’adorais la peinture et c’est pour cette raison que j’ai fait des études de beaux-arts pour devenir artiste peintre, ma passion pour la mode s’est dévoilée plus tard. »
J’ai toujours eu une attirance pour le dessin et plus tard pour la peinture et ce dès mon plus jeune âge. Adolescente, je passais mon temps libre à faire des croquis, elle sourit, même en classe je m’amusais à faire des caricatures des professeurs et de mes camarades. J’avais cette facilité à manier le crayon.
Suite à l’obtention de mon baccalauréat en Economie, notre père fut le premier à m’encourager à suivre ma voix, à faire ce que j’ai toujours aimé pour pouvoir un jour vivre de ma passion. Je me suis inscrite, alors, à l’Institut Supérieur des Beaux-arts de Tunis. Mes cours en Arts Plastiques m’ont permis d’acquérir une maîtrise des formes, des jeux de lumières et des couleurs. Je fus séduite par les peintres matiéristes. La plupart de mes peintures sont peintes d’une pâte épaisse, griffées de signes et traitées comme la peau de murs écaillés. J’ai toujours été attirée par tout ce qui est vieilli et ait subi les agressions du temps et de la nature.
Elle sourit. En fait, j’ai découvert le monde de la mode un peu plus tard, après avoir eu ma première fille. J’étais fraîchement diplômée et pour mon père il n’était pas question que je reste à la maison. Un jour, il me ramène une annonce dans un journal concernant un concours demandant des formatrices en arts plastiques. Et j’étais sélectionnée parmi tant d’autres pour passer le test écrit et puis pour devenir formatrice après avoir réussi le test oral.
la formation était excellente, nous étions formés par des étrangers venus de tous les pays d’Europe puis le niveau s’est dégradé petit à petit.. » Je me suis mise à une auto formation consciente qu’on ne peut être que le maître de soi même.
Femmes Maghrébines : Donc c’est votre papa qui est à l’origine de ce déclic ?
Imen Fantar : « Oui bien évidemment. Je suis issue d’une famille qui a toujours cru au travail. Pour mes parents c’est la seule chose qui différencie une personne d’une autre. J’étais élevée dans une famille d’intellectuels. . »
Femmes Maghrébines : Est-ce que les débuts étaient difficiles ?
Imen Fantar : « Quelque part oui. Il fallait que je m’impose. Ce n’est pas la formation académique qui m’a forgée, c’est plutôt le contact avec les gens, avec mes clientes et surtout avec mes étudiants. Cette jeunesse remplie de tant d’espoir. J’étais membre de jury de concours de la « Khomsa d’or » que j’ai dû quitter pour plusieurs raisons. J’ai aussi représenté la Tunisie avec l’une de mes stagiaires à l’Olympiade des métiers « World Skills » à Londres et nous avons eu un très bon classement, elle sourit, on était mieux classé que les anglais. J’ai fait les foires, j’ai voyagé beaucoup pour comprendre ce monde qui évolue à la vitesse de la lumière.
En 2013 j’ai choisi la formule mi-temps. Il fallait que je sois là pour mes trois enfants, mais il fallait que je sois là aussi pour notre projet de famille.
Mon mari qui est diplômé d’ESMOD Paris travaille dans leur société familiale de corsetterie et de bonneterie. En fait ce projet a été fondé en 1968 par son père et son associé il fallait le maintenir en vie malgré les aléas de la vie économique de notre pays surtout quelques années avant la révolution et pendant les années de la révolution.
Nous étions confrontés à réduire l’effectif de notre entreprise, pour composer avec cette chute du domaine du textile. Mais nous avons tenu bon, parce qu’au fond nous y avons cru, que quelque part nous avons le droit d’apporter le plus à ce beau pays malgré tous les obstacles, à savoir, les sous marques qui se vendent comme des petits pains sur nos marchés locaux!!! la franchise de mauvaise qualité ou la contrefaçon chinoise de la bas de gamme « .
Femmes Maghrébines : Vous avez parlé d’une relation exceptionnelle avec vos étudiants, dites-nous plus ?
Imen Fantar : « C’est plus qu’une relation exceptionnelle, c’est même fusionnelle. Ils croient en moi et je crois en eux. J’ai participé avec eux à plusieurs concours, je les ai poussés à leur extrême pour en ressortir de très belles collections qui a eu un bel écho chez les membres du jury. »
Femmes Maghrébines : Donc il fallait que vous soyez au four et au moulin, que vous soyez la maman, l’enseignante et la femme présente pour sauver le projet familial ?
Imen Fantar : « En effet, j’avais l’impression par moment que je me surpassais. J’ai constaté que mon mari s’éparpillait face à des personnes peu motivées, alors j’ai décidé de descendre sur le terrain et prendre les choses en mains. Alors qu’auparavant personne ne me connaissait. Je n’osais même pas accéder aux ateliers. Alors je me suis retroussée les manches et j’ai mis les mains à la pâte. J’ai choisi des matières à la fois agréables et fonctionnelles avec une amélioration de la qualité et du design. Ensuite j’ai fait une étude approfondie du marché tunisien, pour pouvoir penser la nouvelle gamme que j’allais proposer sur de bonnes bases.
Je me suis chargée de la direction artistique dans son sens le plus large. J’ai été amenée à intervenir sur plusieurs fronts, par moment je créais mes propres étoffes. Je voulais toucher à tout, m’imprégnais des ficelles du travail pour comprendre le moindre détail de la confection. Je suis passée par toute sorte de tâche dans l’atelier. Je travaillais avec un acharnement fou. J’ai commencé par créer des mini-collections pour tester le produit « Secret Intime ».
Il m’est arrivé de distribuer, moi-même, les flyers de mes nouvelles collections pour faire de la publicité. J’étais fière, fatiguée mais fière. Je savais que j’accomplissais quelque chose et que tout cela allait aboutir.
Femmes Maghrébines : Aujourd’hui, est ce que tous vos efforts ont été récompensés ?
Imen Fantar : « Oui, bien évidemment. Le travail, ça paye toujours, la fatigue, la souffrance, les sacrifices payent toujours et au final seront toujours récompensés. Je pense que nous allons pouvoir résister face à cette époque critique, face à la diminution de cette masse ouvrière, face à cette crise économique étouffante.
Il faut juste savoir suivre une bonne stratégie marketing pour comprendre le besoin d’une clientèle diversifiée et avide de nouveauté, qui n’est pas une clientèle des moindres. Il fallait dire aussi que j’ai osé faire des choses que d’autres n’ont pas osé, puisque je suis la seule sur le marché qui a développé une gamme maternité pour les femmes enceintes et une ligne spécial allaitement. Cette ligne, a été créé parce que moi-même j’en ai souffert d’un manque d’une gamme spécial pour les futures mamans quand j’été enceinte.
Nous venons de créer une ligne spéciale pour homme que j’ai baptisé « Samo Bey » en hommage aux fondateurs de la société TIB, le défunt Mr Salah Hachana et Mr Moncef Zahra. deux hommes forts imposants élégants, séducteurs… d’où le nom « Samo Bey »Sa comme Salah, Mo comme Moncef et Bey comme Le Bey de Tunis représentant l’Empire ottoman à Tunis .
Et c’était une expérience unique qui est aussi née d’un besoin réel puisque les hommes avaient aussi besoin de se mettre à la page et être élégant même quand ils sont à la maison un samedi soir ou un dimanche matin. Pour cette nouvelle ligne je me suis basée sur le gris et le noir comme charte graphique.
Femmes Maghrébines : Parlez-nous de votre bébé, de Secret intime ?
Imen Fantar : « Secret Intime est née en 2013. elle offre une lingerie de nuit confortable répondant aux attentes de la femme d’aujourd’hui . . Et puis pourquoi Secret intime parce que tout simplement c’est quelque chose d’intime, qui concerne la femme, rebelle, maman, médecin, institutrice, journaliste, femme d’affaires. La femme dans tous ses états. La lingerie féminine doit demeurer un secret pour l’autre que seule la femme comprendra ces minutieux détails. La qualité ça paye le souci du détail aussi et Secret intime s’est engagée dans cette perspective. Et oui c’est comme vous le dites mon 4ème bébé, il est né après tant d’années de travail, tant de sacrifices, Il fallait que je fasse les foires, que je voyage beaucoup, que je fasse beaucoup des concessions. J’avais une vision un long chemin à parcourir et j’ai finalement réussit à fonder quelque chose, c’est finalement un rêve qui se réalise .grâce à un travail d’équipe formidable .
Aujourd’hui la société TIB compte plus de 150 employés dirigé par un groupe de modélistes diplômés de ESMOD Paris et Tunis . Les articles sont vendus dans des boutiques multimarques spécialisées en lingerie allant du grand Tunis à l’île de Djerba.
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