- société
Quand j’étais plus jeune et que je n’avais pas d’enfant, je croyais que la protection des abus sexuels consistait à apprendre à nos enfants à ne pas fréquenter ni s’adresser aux étrangers.
Je vais alors vous racontez cette petite histoire, question de vous mettre un peu dans le vif du sujet. Une de mes amies avait trois enfants, Youssef, le plus jeune, avait un petit visage tout blottit et doux, deux petites dents minuscules qui se frayaient un chemin sur le devant de sa bouche en cœur. C’était le genre d’enfant qu’on pouvait dévorer tout cru!
Je me souviens une fois de m’être approchée de lui avec toute la douceur du monde pour l’embrasser. Bien évidemment aucune mauvaise intention de ma part, je voulais juste l’embrasser. N’étais-je pas une adulte « sécuritaire »?
En me voyant m’approcher, Youssef a rentré la tête dans ses épaules et détourné la tête. Étonnée, j’ai fait un autre pas vers lui dans une tentative perdue de m’approcher encore plus de lui. Sauf que voilà, il a couru se réfugier dans les jambes de sa mère en me laissant pointée comme une débile au beau milieu du salon. Vous dire l’effet que ça m’a fait! Je me suis sentie rejetée personnellement: ne méritais-je pas la confiance de ce petit?
Je m’attendais à ce que sa mère le pousse vers moi en le rassurant. En insistant sur le fait qu’on ne fait pas ça. Mais voilà, elle n’a rien dit du tout et l’a gardé près d’elle en posant un bras protecteur autour de lui. Je ne vous raconte pas à quel point mon égo été froissé! Insulté.
J’ai songé que sa mère en faisait un enfant bien capricieux et mal élevé.
Mais brusquement, je ne sais pour quelle raison, des questions ont jaillit dans ma tête : pourquoi fallait-il que cet enfant m’embrasse? Parce que je croyais à l’époque qu’un bon enfant obéissait forcément; parce que je n’étais pas une menace et que même, j’avais été bien fine avec lui. Et puis, un petit baiser, qu’est-ce que c’est? Rien du tout.
Met puis dites-moi, qui songerait à forcer le baiser de n’importe qui d’autre? Auriez-vous l’idée d’embrasser quelqu’un que vous ne voulez pas embrasser?
Nous savons tous que les enfants ont bien peu de pouvoir. Ils mangent ce qu’on leur donne, ils portent les vêtements qu’on leur procure, ils se font garder par les personnes que nous choisissons. Et il arrive un jour où ils commencent à exercer un peu de pouvoir et disent Non! Tout le monde connaît cette période difficile et tout le monde a hâte qu’elle se termine. C’est pourtant pendant cette étape cruciale que l’enfant commence à bâtir son être et forger sa personnalité. Exprimer son désaccord ou son désarroi n’est plus considérer comme un défaut, c’est une ressource personnelle très précieuse. C’est durant cette période qu’ils apprendront à exercer leur libre arbitre et leur pouvoir de décision sur leur vie. Cela ne veut pas dire forcément que nous céderons à toutes leurs résistances!
Jusqu’à cet événement avec Youssef, j’avais bien souvent tenue entre mes mains le visage d’un enfant entre mes mains pour obtenir le baiser qu’il me refusait. Je n’avais jamais songé que ce baiser n’est au final qu’un geste d’intimité bien différent de celui de refuser de manger ses pattes. Et pendant que tout le monde rigole de voir une petite fille se tortiller entre les bras de oncle qui force son bisou, cette enfant était en train de réaliser que les grandes personnes ont le droit de la forcer à une intimité qu’elle ne veut pas; qu’elles ont le droit (et trouvent ça drôle!) de la toucher sans son consentement. Ceci n’est-ce pas le début de l’abus?
Est-ce que c’est ce que nous voulons apprendre à nos enfants?
Les bisous consentis sont un cadeau…
Les petits bisous des enfants et les petits câlins, exactement comme nos propres baisers, sont un cadeau précieux lorsqu’ils sont consentis librement et non pas forcés par les parents. Youssef et sa mère m’ont donné une des plus grandes leçons de ma vie parentale: Oui, c’est tout petit que l’on apprend, ou pas, que notre corps nous appartient. Même si ça froisse grand-papa, tata ou tonton. Même si les amis trouvent nos enfants impolis parce qu’ils ont refusé leurs baisers. Même si ça crée un malaise le jour de l’Aïd.
Toutes les raisons sont bonnes pour refuser de donner un bisou, je le conçois bien maintenant. Peut-être que l’enfant est fatigué, peut-être qu’il trouve que grand-papa ne sent pas bon, peut-être qu’il fait un test. Peu importe. Chaque fois que je respecte le refus d’un enfant de m’embrasser, je lui permets d’apprendre que personne n’a le droit de le toucher s’il ne le veut pas. Chaque fois, il apprend à se faire confiance et à respecter ses limites.
Les petites filles et les petits garçons à qui on apprend cela deviennent plus tard des ados puis des adultes qui sont capables d’exercer leur pouvoir sur leur corps, au lieu de se laisser toucher par politesse ou par obligation.