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Nommée récemment Ministre de la femme de la famille et de l’enfant, Neziha Abidi est surtout et avant tout une femme Tunisienne qui a été initiée par son père depuis sa plus tendre enfance à la cause féminine qui n’a fait que croître et se confirmer au fil d’années de militantisme pour les droits de la femme et sa libération. Par ailleurs, s’il vous vient à l’idée d’en savoir un peu plus sur Madame la ministre vous serez surpris de voir que les médias vous apprendront très peu de choses ce qui nous a incité à Femmes Maghrébines à en savoir davantage sur la « représentante en chef » de la femme tunisienne dans nouveau gouvernement. Elle nous a accueillies dans son bureau de fonction et on a eu le privilège de recueillir les propos d’une dame visionnaire avec des projets d’avenir à réaliser et un espoir et une confiance sans faille dans la femme tunisienne sur laquelle repose l’avenir de la Tunisie.
FM: Madame la ministre de la femme, l’enfant et la famille… Pouvez-vous nous faire un résumé de votre parcours ?
Je voudrais tout d’abord vous remercier de l’intérêt que vous portez au Ministère de la femme de la famille et de l’enfant qui est un secteur transversal où tous les secteurs sont représentés et donc il représente en lui-même l’unité nationale et donc nous avons beaucoup de travail avec tous nos partenaires et tous les autres ministères.
Mon parcours personnel est quelque chose de très simple ; je viens d’abord d’un milieu modeste et je souligne cela parce que ça constitue pour moi d’abord une fierté personnelle que je vienne d’une famille qui m’a donné une très bonne éducation ; mon père qui n’avait pas fait beaucoup d’études et s’est contenté d’études primaires a eu la présence d’esprit de m’inscrire au jardin d’enfants très tôt, j’ai donc eu une éducation multiculturelle, une éducation religieuse au Kotteb et une éducation moderne au jardin d’enfants, chez les sœurs. Je me rappelle du premier livre qu’il m’avait offert de Leila Baalbaki, « Je vis » qui m’a enrichi, par la suite il m’avait offert d’autres livres : Nawal Saadaoui ce qui n’a pas limité ma culture et mon engagement pour les droits humains des femmes.
Ma mère, qui est une femme keffoise, très fière d’elle-même m’a appris à être engagée, honnête et fière de moi-même, c’est un parcours simple mais qui a renforcé ma personnalité.
Par la suite, je suis partie en France pour étudier une partie de mes études secondaires. J’étais dans un lycée Français à Paris, j’ai eu mon bac en 1972. Deux événements importants m’ont marqué dans ma vie.
Le premier, c’était la première visite de Bourghiba en 1972, paix à son âme, je passais mon bac et au cours de ce bac, je passais l’oral d’histoire et le professeur m’a posé une question et m’a demandé : Est-ce que vous pouvez faire une comparaison entre Kemal Atatürk et Habib Bourguiba et j’ai pu répondre à sa question et j’ai eu une note de 18, donc j’ai eu mon bac braillement grâce à mon pays, grâce au fondateur de la première République Tunisienne et également le leader qui a affranchi la femme Tunisienne. C’était une chance extraordinaire pour moi.
La deuxième événement marquant, c’était en 1972, il y a eu le Procès Bobigny. Vous le savez que jusqu’en 1972, l’avortement était interdit en France, les femmes partaient Hollande et en Angleterre pour avorter. La Tunisie était en avance en 1968 puisque le planning familial existait déjà et ce fameux procès de Bobigny a soulevé un tollé et Madame Gisèle Halimi a pris la défense de cette jeune fille avec sa mère qui a avorté et donc pour moi, c’était une ouverture pour montrer que j’étais une militante des droits, j’étais jeune et j’étais militante des droits des femmes pour la libération des femmes. Toujours en 1972, j’ai entamé des études de droit et mon professeur de l’époque nous avait parlé du livre très intéressant qui s’intitulait « La politique du mâle » de Kate Millett et donc tout ça a fait que mon intérêt pour les droits humains des femmes s’est renforcé depuis. C’est un engagement personnel depuis que j’étais enfant qui s’est renforcé avec l’adolescence et qui n’a pas cessé depuis. Par la suite étant devenue moi-même une femme et voyant se qui se passe autour de moi ; toutes les misères aussi bien physiques que morales que subissaient les femmes, je ne pouvais pas être indifférente à ce sujet. En plus comme j’étais professeure à la mission et donc j’ai remarqué qu’en enseignant la littérature arabe, il n’y avait que des œuvres d’hommes, donc j’ai crée un programme ; un thème de littérature féministe et surtout de femmes poètes féminines et j’ai découvert qu’il y avait des femmes poètes en Andalousie et dans le monde pré-islamique.
Pour en revenir à mon parcours, je suis rentrée en Tunisie en 1981 et je me suis tout de suite intéressée à l’éducation mais cela ne m’a pas empêché de poursuivre dans mes recherches sur les femmes savantes et les femmes politiciennes et avant d’être nommée au ministère, j’ai déjà entamé une recherche sur les femmes médecins à travers l’histoire, j’ai également un livre sur les femmes et l’impact des pères sur l’éducation des filles. Moi, j’ai eu un père extraordinaire et à travers l’histoire des femmes tunisiennes depuis Carthage jusqu’à aujourd’hui, la présence des pères est extraordinaire et je veux réellement rendre hommage à tous les pères tunisiens, pas seulement aux mamans mais à tous les pères qui nous ont aidé à progresser et à tous les maris également qui ont contribué à notre présence dans l’espace public.
FM: Vous avez rejoint le ministère de la Femme, de la famille et de l’enfance en 1999 en tant que directrice de la coopération internationale et des relations extérieures par la suite vous avez été désignée en 2015 directrice de la promotion de la femme pouvez-vous nous parler de ces expériences.
A l’époque, c’était un secrétariat d’État puis c’était un bureau au départ au premier ministère. Par la suite, il y a eu des femmes porteuses de ce projet : Madame Zarrouk, Mme Feyza Kefi et la société civile, il ne faut pas oublier ceux qui ont travaillé justement sur la question et par la suite c’est devenu le ministère des affaires de la femme, de la famille, l’enfance et des personnes âgées qui touche toute la société.
Ma toute première expérience, j’ai été nommée auprès de la coopération internationale multilatérale et bilatérale et on a pu drainer beaucoup de fonds avec la Chine, le recyclage de la dette suédoise avec les fonds italiens, canadiens et espagnols. Il y a eu vraiment un afflux de bailleurs de fonds qui se sont intéressés à la question de la femme. Je me souviens qu’en fin de 2010, on avait un grand projet avec les italiens, il était question d’un don de 3 milliards pour les femmes diplômées du supérieur et depuis je ne sais pas ce qui s’est passé ; je sais que les bailleurs de fonds récupèrent leurs fonds s’ils ne voient pas de travail effectué mais en ce moment on est en train de travailler pour reprendre ce don de 3 milliards pour les femmes tunisiennes ; Bien entendu si on a un projet qui est porteur et qu’on travaille dessus, je pense qu’on aura toutes les chances de reprendre ce projet s’est arrêté à mi-chemin.
FM:Comment évaluez-vous la présence de la femme en politique, bien évidement pour réussir en politique être femme peut déranger ? faut-il des conditions très spéciales parce qu’on est femme ?
Tout d’abord, il y a un gouvernement d’unité et d’union nationale qui est composé de 20% de femmes. Ce n’est pas la parité telle qu’elle est annoncée dans la constitution mais c’est un acquis considérable parce que quand on regarde la moyenne d’âge de ces femmes, je trouve que ces femmes ont trois piliers : l’expérience, la science mais surtout la confiance qui sont à mon avis des bases solides qui vont par la suite ouvrir la porte à d’autres femmes. Après c’est vrai aussi qu’en regardant les femmes dans les médias, dans tous les plateaux télévisés, il n’y a pratiquement pas de femmes et là c’est vrai que c’est une défaillance, et on doit veiller à ce que les femmes soient présentes aussi bien en tant qu’animatrices, journalistes et surtout aussi j’insiste sur le fait qu’il y a plus de 60% de femmes qui sont diplômées en communication et qui sont des expertes et qu’on ne voit pas dans les postes de décisions. Donc l’enjeu est de renforcer la capacité des femmes, la confiance en elles-mêmes, donner une image réelle de leurs compétences qui sont perdues quelque part qu’il faut ramener et mettre en valeur.