- société
« Un homme ça s’empêche ». C’est à partir de cette célèbre phrase d’Albert Camus dénonçant tous les fanatismes et engageant la réflexion autour des démons qui somnolent en chacun de nous que « Violence (s) » de Jalila Baccar et Fadhel Jaibi déroule de rouleau de nos actions conscientes et inconscientes au lendemain de la Révolution du 14 janvier 2011 jusqu’à nos jours.
Sur la scène du Théâtre antique de Carthage habillée samedi 6 Aout 2016 et dans le cadre de la 52ème édition du Festival International de Carthage, par un décor où les nuances de gris vient plutôt au noir, Les protagonistes de cette pièce présentée pour la première fois le 6 Novembre 2015, ont excellé dans l’interprétation de personnages problématiques, déchirées entre réalité et fantasmes, victimes ou bourreaux, rêveurs et désenchantés, mais tous coupables de faits et gestes d’une cruauté indescriptible. Violence(S) est plus qu’un parti-pris, c’est une autopsie d’une société désespérée d’elle-même, de sa réalité et de son avenir pour le moins obscur. C’est le carnet d’une révolution avortée dont les acteurs ont fini par prendre le large, par crainte de l’avenir et par désespoir. C’est du moins ce que laisse croire un article d’un journal francophone autour duquel s’articulent plusieurs problématiques traitées par les dramaturges. Une mère qui finit par tuer son propre fils en le brulant vif, le même fils qui jette sa mère en pâture à des ivrognes en guise de règlement d’une dette, des élèves qui assassinent leur professeure par amour ou par vengeance, une épouse qui tue son mari dans un moment de rage, un homosexuel qui tue son compagnon par aveuglement se sont autant de trames servant de textures à cette pièce où la violence se décline dans toutes formes abjectes et traumatisantes. La dramaturgie de cette pièce plonge dans les interstices de la conscience humaine à la recherche d’une bribe de vérité susceptible d’aider à comprendre les raisons d’autant de cruauté. Avec un clin d’œil à Camus, les auteurs nous tendent une perche pour nous aider à nous libérer de nous-mêmes et des monstres qui nous habitent comme des maladies silencieuses. Des situations d’une extrême violence nous sont jetées à « la figure » comme pour nous réveiller de notre somnolence à travers des tableaux oscillant entre un centre de détention, une salle de d’instruction, une prison et un hôpital psychiatrique le tout avec un décor sombre et minimaliste. Des corps « dévitalisés », des vies de survies, d’individus amnésiques et hommes et des femmes déshumanisés, trainant le lourd fardeau d’un passé qui revient au galop malgré toutes les tentatives de déni. Une psy qui finit par sombrer emportée par l’horreur de son quotidien ensanglanté…Mais toute cette violence(s) n’a a été possible esthétiquement parlant que grâce au jeu combien même intriguant de Jalila Baccar qui encore une fois nous a révélé l’immensité de son art de comédienne hors pair, dans le rôle d’une intellectuelle et refusant tout compromis avec le pouvoir, de Nooman Hamda dans le rôle de geôlier, Fatma Ben Saidane dans le rôle de la mère infanticide, Lobna Mlika qui revient en force après Khamsoun, qui ont porté ce texte fort, dur et profond de bout en bout de la pièce avec les Nesrine Moulehi, Aymen Mejri, Ahmed Hamrouni et Mouine Moumni, des comédiens talentueux sortis de l’école des comédiens crée par Jaibi. Violence(S) n’est pas une pièce de théâtre ordinaire. C’est un manifeste contre la violence sous toutes ses formes et une réflexion réitèrent l’idée chère à Camus « être adulte, c’est savoir se retenir », car les démons sont en nous et pas ailleurs. Avec Violence(S) Le Festival International de Carthage se réconcilie avec le Théâtre, le grand, le beau et le sérieux . Ce soir-là, c’est la foule qui est montée au Théâtre au bonheur du Maitre Meyerhold.