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PAR JAMEL SABER
Tout d’abord, il est à signaler que le secteur informel se définit comme étant « l’ensemble des activités interdites par la loi, ou des activités légales en elles-mêmes, mais exercées par des personnes non autorisées à le faire ». Pour le Fond monétaire international (FMI), le secteur informel se définit comme étant « la part de l’activité économique qui n’est pas prise en compte dans les calculs du PIB. Ainsi l’économie souterraine n’est pas soumise aux taxes ni déclarée auprès des institutions ».
Le terme économie souterraine ou clandestine regroupe trois formes d’activités très différentes : l’économie générée par le travail au noir, les délits économiques ou les activités criminelles ou délictuelles et leurs recels. Cependant elles ont toutes au moins trois points communs, elles échappent aux règles économiques et sociales et à l’intervention de l’État; elles ne donnent lieu à aucun prélèvement obligatoire (fiscal ou social); elles faussent le jeu de la libre concurrence par rapport aux activités légales, soit du fait de leurs propres activités — travail au noir —, soit du fait de l’intégration de sommes provenant d’activités délictuelles ou criminelles, cherchant à se réinvestir — blanchiment d’argent.
Sachant que l’existence d’une importante économie souterraine est avant tout le signe d’un dysfonctionnement grave de l’économie formelle ou des services publics de l’État. Selon le FMI, l’importance de l’économie informelle est due à quatre facteurs principaux. En effet,«la faiblesse des institutions étatiques, la rigidité des régulations sur le marché des biens, la rigueur du code de travail, et le « fardeau fiscal excessif »».
Les taxes élevées seraient donc entre autres, à l’origine de l’importance de l’économie informelle, particulièrement en Tunisie et au Maroc, à hauteur de 37%. «Ces deux pays ont en effet un haut taux d’imposition sur les sociétés (30% d’imposition alors que la moyenne des pays en voie de développement serait de 20%)», souligne le FMI. Les produits les plus touchés par l’économie parallèle (carburant, tabac, vêtements,chaussures, électroniques, électroménagers, drogues, armes de guerre, traite des blanches, fruits et fruits secs …) pour des pertes fiscales annuelles pour l’Etat tunisien estimées à plus de 2 milliards de dinars.
A partir de cette description du secteur informel, nous pouvons penser aux différents impacts que peuvent représenter ce secteur. En effet la présence de ce dernier constitue d’importantes pertes de recettes fiscales pour l’Etat, et par conséquent, il limite énormément l’effort national pour le financement des investissements publics nécessaires pour toute la population du pays (autoroutes,routes,facultés,écoles,crèches, municipalités…). De même, et en échappant aux charges fiscales et sociales le secteur informel exercera logiquement une concurrence déloyale vis-à-vis du secteur formel, qui deviendrait, ainsi de moins en moins attractif aux entrepreneurs, ce qui risquerait donc de freiner l’investissement et par conséquent la chute de la production et de l’emploi local.
Sur le plan humain, selon la Banque mondiale (BM) le secteur informel se caractérise généralement par une grande précarité des conditions de travail pour 78% d’entre eux, en moyenne 200 dinars mensuel, qui se manifeste, entre autres, par l’inadaptation des locaux, ainsi que par l’absence des principaux services publics nécessaires à toute exploitation viable d’une entreprise: eau, électricité, infrastructure indispensable. De telles insuffisances constituent un risque sur la santé des travailleurs de ce secteur informel. D’après le « Centre de recherches et d’études sociales » (CRES) et la « Banque africaine de développement » (BAD) avancent que l’emploi informel au sein de l’économie représente 32.2% en 2015 de la population occupée, soit plus d’un million de travailleurs informels directs, donc au moins 5 millions de tunisiens vivent directement et indirectement de l’informel, surtout ceux frontaliers sur les 1.200 kms de la Libye et l’Algérie.
Sachant aussi que l’économie informelle, c’est 38% du PIB en Tunisie, selon les chiffres officiels, ce qui suscite colère et appréhension chez le patronat représenté par leur syndicat l’UTICA, et inquiétude aussi chez les responsables et les économistes. Les institutions financières internationales tirent, elles aussi, la sonnette d’alarme, estimant que cette activité ne cesse de gagner du terrain dans le pays, pour représenter, aujourd’hui, environ 53% du PIB, l’équivalent de 40 milliards de dinars, selon Moez Joudi, président de « l’Association tunisienne de la gouvernance » (ATG). Alors qu’en comparaison elle est en 2015, de 5 à 16% du PIB en Europe, la Suisse étant la moins touchée environ 5%, et 30% pour les pays de l’Europe de l’Est ( Bulgarie, Croatie, Lituanie …). Quand en Afrique et selon la BM, c’est en moyenne 55% du PIB, et que les travailleurs en noir, c’est 90% au Sénégal et 40% au Maroc.
Ce fléau a été toujours présent depuis des décennies en Tunisie,mais au environ de 10% du PIB, à l’instar du reste des pays du monde, mais qu’il s’est largement développé depuis 2011, au vu de l’affaiblissement prémédité du contrôle de l’Etat. Sachant qu’en Tunisie 80% de la population achètent au marché noir, l’équation de l’offre et la demande est donc en faveur de l’informel, surtout en rapport avec la chute de 40% depuis 5 ans du pouvoir d’achat des tunisiens, et des bas prix défiants toutes concurrences, c’est donc du dumping, voire une guerre économique déloyale, qui détruit notre tissu d’entreprises locales commerciales et industrielles.
Selon des statistiques publiées en octobre 2015 par la BM, le secteur informel en Tunisie est estimé à 54% de la main-d’oeuvre. L’informalité se concentre dans des micro-entreprises, soit 524.000 unités, représentant 35% du tissu entrepreneurial. Ce qui est encore plus grave, d’après M.Joudi, c’est que ce phénomène touche tous les secteurs d’activité et tous les produits, sans aucune exception: produits alimentaires, pharmaceutiques, de l’énergie, de la santé, les produits subventionnés, mais aussi les armes et les devises, dont le risque sur la stabilité sécuritaire et économique est très grave. Conséquence directe, il est à présent établit que terrorisme islamique armé et contrebandiers font la paire ensemble .
Selon une enquête de terrain, menée par l’économiste Mohamed Haddar, les transferts de devises vers l’étranger dans la région de Ben Guerdane (sud-est, à la frontière libyenne) sont évalués entre 1 et 3 millions de dinars (MD) par jour, soit l’équivalent de 750 MD par an. Ce marché de devises est contrôlé par 5 principaux banquiers au noir («sarrafa»), emploie entre 250 et 300 agents de change, offre des prestations quotidiennes et au comptant et concerne toutes les devises. Bref dans ces milieux l’argent coule à flot , et il est même mesuré au poids !
Le président de l’ATG a mis en garde contre les pratiques des contrebandiers, qui blanchissent leur argent à travers des actions associatives coraniques et autres. «La Tunisie compte aujourd’hui plus de 17.000 associations, alors que seules 20 d’entre elles répondent aux exigences légales. Parmi ces associations, il y en a qui servent de couverture pour le blanchiment de l’argent des barons de la contrebande», a-t-il encore révélé, en insistant sur la nécessité d’élaborer une stratégie claire pour faire face à ce fléau de l’économie informelle.
Quand à l’expert comptable Anis Wahabi met en garde, lui aussi, contre l’aggravation de ce phénomène, estimant qu’«avec moins d’un millier de contrôleurs fiscaux, nous ne pouvons pas contrôler, à la fois, plus de 650.000 contribuables et autant, voire plus, de personnes travaillant dans l’informel. Pis encore, ces contrôleurs sont privés d’équipements et de moyens nécessaires, y compris les voitures, pour assumer convenablement leurs tâches». Aussi, a-t-il insisté sur la nécessité de renforcer les moyens humains et matériels et de changer les mécanismes de contrôle.
Sachant aussi que Le marché informel aggrave aussi l’inflation qui varie entre 5,7 et 3,7% selon la période, dans la mesure où l’Etat ne parvient pas à le gérer, ni en maîtriser ses règles, puisqu’il est approvisionné à partir des circuits irréguliers. En conclusion le phénomène est néfaste pour le pays, que ce soit sur le plan environnemental, esthétique, qu’économique. Sans oublier qu’en 10 ans et depuis 2006, les services du Ministère du Commerce ont recensé environ 6 millions produits contrefaits, ce qui représente une réelle menace à la santé humaine et à l’environnement. Dans le monde, 7% des médicaments et 12% des jouets d’enfants sont contrefaits, ce qui présente des risques graves sur la santé humaine. S’il est impossible d’éradiquer totalement et définitivement ce phénomène mondial de l’économie informelle , qui n’épargne donc aucun pays, je propose de prendre les mesures nécessaires suivantes, avec l’assistance de l’OCDE ou autres institutions, ceci pour réduire son niveau à 15% du PIB en Tunisie d’ici 2020 :
1/ L’Etat doit comme préalable avoir une forte volonté politique, ceci pour être déterminé et capable de mettre en place une politique efficace pour déclarer la guerre à ce “terrorisme économique” qu’est le marché informel, afin comme préalable d’assécher les sources d’approvisionnement des produits illégaux de contrebandes. Sans oublier l’essentiel qu’est une justice indépendante, et des magistrats non corrompus.
2/ Création d’une véritable « Task Force », composée d’une brigade armée et mobile, de 10.000 hommes et femmes, opérationnelle sur tout le territoire national, avec de gros moyens humains, logistiques et financières, agissant avec force de loi, et sous supervision de “l’Instance constitutionnelle de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption” (INLUCC), suite à un dossier de présomption caractérisée.
3/ Les officiers fiscaux judiciaires de cette Task Force formeront la brigade de répression de la délinquance fiscale et douanière à créer. Il s’agit pour moitié de policiers ou douaniers à qui a été dispensée une formation fiscale, et pour moitié d’inspecteurs des impôts ayant appris les techniques policières et/ou douanières.
4/ Les fonctionnaires de cette brigade ainsi formés disposent de tous les pouvoirs de la police judiciaire : écoutes, filatures, garde à vue, commissions rogatoires, perquisitions, mais uniquement pour des questions fiscales douanières et de contrebandes. Révisions des lois en rapport pour plus de largesses d’interventions rapides et de fermeté.
5/ Refonte totale des services douaniers qui au présent laissent à désirer. Déclarer la guerre à la corruption interne, et punir sévèrement les agents qui commettent ces délits. La logistique dans les ports et aéroports doit être mise à niveau, avec un nouvel organigramme, matériaux sophistiqués de contrôles de marchandises, scanners et autres caméras de surveillance, et surtout de nouveaux logiciels de management.
6/ Mettre hors d’état de nuire tous les grands barons de la contrebande et la spéculation, en faisant appliquer strictement et fermement la loi à leur encontre par la force publique, et sans relâche. Se doter de tous les moyens pour combattre le récalcitrant contrebandier et s’armer d’une panoplie de sanctions financières, administratives et pénales pour qu’il ne recommence pas.
7/ Les affaires judiciaires contre la grande contrebande nationale et transnationale, seront dorénavant considérées comme “crimes contre la Nation”, c’est donc relèvent du « terrorisme économique », et seront jugées par le même « Pole judiciaire », que les autres formes de terrorismes, islamique armé, blanchiment d’argent, fraude et évasion fiscale.
8/ Combattre les sous-déclarations des chiffres d’affaires dans le secteur formel qui se traduisent par des ventes sans factures, et qui représentent le poste le plus important en termes de fraudes fiscales et un flux intérieur non négligeable de marchandises non fiscalisées qui alimente aussi le marché parallèle.
9/ Instaurer un système de suivi et de traçabilité de la chaîne logistique des produits du tabac, tel que stipulé par le protocole de l’OMS dont la Tunisie est signataire, renforcer le contrôle de la distribution de tabac en dotant les contrôleurs sur terrain de terminaux d’inspection mobiles, et mettre en place un observatoire de suivi du marché du tabac.
10/ Lutter contre les millions de produits contrefaits qui sont commercialisés sur les marchés tunisiens. C’est une réelle menace à la santé publique, à notre économie locale et à l’environnement, sans oublier notre image de marque à l’étranger.
11/Mener de vastes opérations de contrôle économique dans les grands centres commerciaux en Tunisie afin d’éradiquer la vente chez eux des produits de contrebandes. C’est un délit grave.
12/ Développer d’ici 2017 des zones franches frontalières tuniso-algériennes,14 zones au moins, qui permettraient aux pays maghrébins et aux entreprises économiques de la région du Maghreb de créer « des entreprises industrielles mixtes et de les approvisionner en marchandises produites, exclusivement dans les pays concernés et aussi effectuer des échanges commerciaux avec des prix référentiels et exonérés de taxes douanières ».
13/ Intégrer les quelques centaines de milliers de petits commerçants dont l’unique source de revenus provient de cette activité, dans le secteur formel et les affilier au système fiscal (forfaitaire) et à les faire bénéficier d’une couverture sociale.
14/ Intégrer les quelques dizaines de milliers de commerçants qui peuvent trouver refuge dans les marchés hebdomadaires. Ils exerceront, ainsi, dans le cadre de la loi, sans courir aucun risque. D’ailleurs, ces marchés servent, à travers le monde, à accueillir ce genre de commerçants, mais à condition qu’ils s’approvisionnent en produits à partir des circuits légaux.
15/ Éloigner obligatoirement l’emplacement des intervenants dans cette économie informelle reconvertis, hors des circuits touristique, et des grandes places et avenues stratégiques des villes, et pour cause c’est néfaste pour l’image de marque du pays, et pour la beauté de nos sites. Choisir donc pour eux des endroits populaires d’arrières courts à l’écart .
16/ Révision à la baisse des taxes douanières pour un certain nombre de produits commercialisés via les circuits parallèles, dans le but de les réintégrer aux circuits formels. L’expérience dans la loi des finances 2016, pour des taux de 0 et 20% en rapport avec des spiritueux et autres produits, donnera j’espère de bons résultats en fin d’année. Ainsi on pourra l’étendre à d’autres produits.
17/ Amélioration du cadre réglementaire du marché du travail, entre autres, par la simplification des règlements d’entrée sur le marché, et créer un environnement qui favorise une exécution plus juste des règlements. Révision aussi du code de travail pour le rendre plus flexible aux conditions d’emploi.
18/ Assurer le contrôle de plus d’un million de micro-entrepreneurs en Tunisie qui n’ayant pas accès aux services financiers classiques ont eu recours à la micro-finance. Plus d’un milliard de dinars en microcrédits sont octroyés rien que par l’ONG ENDA. Cette question est éminemment complexe car autant les microcrédits ont permis à des milliers de personnes de sortir de la pauvreté, autant leurs marchandises sont écoulées sur le marché parallèle avec zéro rendement fiscal. C’est donc une perte pure pour le trésor public.
19/ Mettre à la disposition des dénonciateurs des contrebandiers, une boite postale, un numéro vert voire une page web, pour inciter les citoyens anonymes à dénoncer un voisin, un parent, un ex – conjoint, un concurrent, un patron ou un contrebandier. Bref cultiver un « réflexe nationale de dénonciation » comme un acte de patriotisme, ceci via des spots infos dans la radio, TV, presse écrite et le web. Rémunérer les personnes fournissant des informations.
20/ Introduire l’impôt de solidarité sur la fortune(ISF), ceci pour identifier et donc sévèrement sanctionner les contrebandiers et fraudeurs au fisc. Lancer aussi une opération light de « Mani pulite »(mains propres), comme celle de 1992 en Italie, mais en se limitant qu’à seulement confisquer les biens fallacieux, et donc pas de prison pour ces délits.
21/ Le Ministère publique ne doit plus être désigné et dépendre directement du Ministère de la Justice donc de l’exécutif, ceci pour éviter dorénavant que des poursuites judiciaires contre des contrebandiers soient déboutées, gelées voire ralenties, ceci pour des considérations politiciennes, voire corruption au sein même de l’Etat. Et pour cause, d’aprés Chawki Tabib de l’INLUCC , des centaines de dossiers de corrompus et de contrebandiers, croupissent depuis mars 2013 chez le Ministère public sans réponse aucune à ce jour !
22/ Adopter au plus tôt à l’ARP (parlement) le projet loi de “l’Instance constitutionnelle de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption”, qui assurera et supervisera en toute indépendance cette guerre contre la contrebande, entre autres .
23/ Dématérialisation de l’administration via l’introduction de la numérisation des documents et procédures administratives, ceci pour éviter au maximum le contact avec les agents et la lenteur administrative. Mettre en pratique la transparence avec l’Open Gov et l’Open Data. Sans transparence et avec une administration corrompue, rien ne pourra se faire pour gagner cette guerre contre les contrebandiers.
24/ Encourager la participation de la société civile pour combattre la contrebande, et collaborer aussi à trouver des solutions pratiques sur terrain, ceci pour reconvertir les commerçants lors de leurs passages de l’informel au formel.
25/ Limiter l’utilisation des billets de banques en espèces dans toutes les transactions bancaires ou autres , à mille dinars maximum . La Suède est un cas d’école en la matière pour avoir éradiquer la monnaie fiduciaire au quotidien. C’est une parade fatale pour lutter contre toutes formes de corruptions, d’économie informelle et dérivées .
26/ Contrôler par l’INLUCC le financement et dépenses des dizaines de partis politiques et des milliers d’associations, mais surtout les moyens financiers des compagnes électorales, ceci pour s’assurer qu’ils soient conformes aux lois en vigueurs. L’argent par millions de dinars issu de la contrebande, corruption, de fraudes et évasion fiscales, sont souvent utilisés par les hommes politiques pour conquérir le pouvoir, et le garder.
En conclusion la guerre contre le terrorisme de l’économie informelle, ce “cancer métastasé” qui nous ronge de l’intérieur, est tributaire de la volonté politique et de la capacité du gouvernement à faire appliquer la loi à toutes les personnes, sans aucune exception. Sachant que ces graves maux de la : contrebande, corruption, fraude évasion fiscale, blanchiment d’argent, et des islamistes armés, sont tous intimement liés et interagissent entre eux d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement. Je les considère donc tous, comme différentes formes de terrorismes, à éradiquer au plus vite chez nous, ceci pour le bien de la Tunisie.