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Nawel Saadaoui : Éloignons nos enfants des légendes religieuses !

  • Nawel Saadaoui : Éloignons nos enfants des légendes religieuses !

 
Par Ghalia Ben Brahim
En marge de la trente-et-unième édition de la Foire internationale du livre de Tunis, l’écrivaine et militante égyptienne Nawel Saadaoui a tenu une conférence durant laquelle elle a pu répondre aux différentes questions qui lui ont été adressés par son public tunisien.
Avant de commencer à réagir avec le public présent, Abdelhalim Masaadoui, écrivain et animateur d’une émission culturelle télévisée, a pris la parole afin de présenter l’écrivaine égyptienne avant de lui poser ses questions. La séance a été intense d’où la transmission directe que nous vous proposons ci-dessous.
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 Dr Messaoudi :
Pour être honnête, je me sens dans l’incapacité de présenter un tel personnage… Comment vais-je procéder pour présenter Nawel Saadaoui ? En annonçant qu’elle est écrivaine ? Médecin ? Romancière ? Psychanalyste ? Militante féministe ? Dois-je lui avouer que j’ai passé une grande partie de mon adolescence à la lire en regrettant, en secret, de ne pas avoir été une femme ? Rien que sa présence aujourd’hui et ici est un hommage à la femme tunisienne. Nawel Saadaoui a lutté, à sa manière, au profit de la femme tunisienne. Je me sens si petit devant toute cette grandeur. Mais voilà, aujourd’hui je suis chargé de la présenter de lui poser des questions, alors je vais devoir le faire. Nawel Saadaoui a toujours été sujette de plusieurs rumeurs, la dernière en date affirme qu’elle a fait partie, à une certaine époque, des Frères musulmans. Qu’avez-vous à commenter à ce sujet ?
Nawel Saadaoui :
De toutes les accusations qui m’ont été adressées, celle-là est la plus légère. Je n’aurais jamais pu faire partie des Frères musulmans et pour cause… J’ai commencé à douter de la justice divine quand j’avais sept ans. Vous savez, tous les enfants se posent des questions sur Dieu, son existence et ses origines. Moi c’était les étoiles qui m’avaient interpellée. J’ai demandé à mes parents qui a fait les étoiles. Ils m’ont répondu que c’était Dieu tout en m’expliquant qu’il ne fallait plus que je pose ce genre de questions parce que c’était interdit. C’est comme cela que cela commence. En interdisant aux enfants de poser les questions les plus naturelles au monde, on leur interdit l’intelligence la plus naturelle. C’est à partir de ce moment-là que le religieux prend le dessus, ce même religieux au nom duquel nous sommes assassinés. Je suis née à une époque pareille à celle que nous vivons aujourd’hui. L’Égypte était colonisée par les britanniques qui avaient encouragé les égyptiens à fonder les Frères musulmans, ils avaient finançaient et leurs avaient même fournir les armes les plus sophistiquées.
Même si j’estime que j’avais de la chance quand j’étais petite, vu que mes parents venaient d’un milieu favorisé et qu’ils étaient bien formés, j’ai beaucoup souffert de l’injustice. L’une des premières formes d’injustice dont j’ai été victime était la discrimination des deux sexes. J’avais un frère qui n’était brillant et qui provoquait assez souvent la déception de mes parents, et pourtant, il était traité comme un prince à la maison. Contrairement à moi, il n’était obligé ni de faire le ménage ni de cuisiner. Cela m’a révoltée. Je suis entrée dans ma chambre et j’ai écrit une lettre à Dieu. J’ai demandé à Dieu d’être juste s’il voulait me voir croyante. J’avais beaucoup pleuré en écrivant la lettre.
Après un moment, j’avais fini par la brûler comme je n’avais pas l’adresse postale de Dieu et que j’avais peur que quelqu’un finisse par la lire. A l’âge de dix ans, on a voulu me marier de force. Je m’étais battue de toutes mes forces pour que cela n’aboutisse pas, et j’avais accompli ma première réussite. C’est ma mère qui avait réussi à me calmer en m’affirmant que l’enfer n’existait pas, qu’il ne fallait pas vivre en ayant peur du feu de l’au-delà… Il faut que nos enfants soient bien formés, qu’ils aient le droit de poser toutes les questions qui leurs passent par la tête. Il faut qu’on apprenne à éloigner nos enfants des légendes religieuses, celles qui valorisent la discrimination des deux sexes, si l’on souhaite réellement combattre la montée des extrémistes religieux.
En entrant à la faculté de la médecine, les différentes formes d’injustice avaient empiré. Ma vie était devenue une simple série de questions en boucle. Risquer et oser, c’était devenu pour moi la seule issue. Et cela avait dépassé les questions religieuses, j’en étais arrivée aux questions politiques. Ma lettre au président Anaour Sadat, qui m’a valu un séjour en prison, a été une libération pour moi à l’époque. Je refusais le tabou et la peur. Si on veut vivre dans un pays libre et juste, il faut oser et risquer… Nous les arabes, nous n’avons apporté aucune contribution scientifique depuis des années. Sommes-nous d’une intelligence inférieure à celle des américains et des européens ? Non. La seule différence entre eux et nous c’est qu’ils ont réussi à battre l’Eglise alors que nous, nous sommes encore en pleine lutte contre la mosquée. Dans ces luttes, malheureusement, le prix à payer est la femme et sa liberté.
La femme est sous-estimée par toutes les religions, c’est pour cela qu’il faut qu’elles soient à la tête de toutes les révolutions de ce monde afin que les sociétés puissent connaître un vrai changement.
(à suivre)

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