- société
Par Hajer Zarrouk
En marge des Journées Cinématographiques de Carthage, un « incident » de très haute importance a déclenché une vive polémique entre « les pour » et « les contre » : le décolleté de la ministre du tourisme et de la culture a défrayé les chroniques alimentant – à cette occasion- débats et discussions dans la toile et sur les réseaux sociaux. Les chantres du progressisme y ont vu l’expression d’une « féminité méditerranéenne assumée» et les chantres du « Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir » y ont vu un énième dérapage de la part d’une ministre qui – depuis les attaques subies lors de sa nomination – ne cesse de narguer les Tunisiens les plus puritains.
La problématique existentialiste est donc la suivante : se fait-il qu’une personnalité politique féminine endosse une robe à l’échancrure aussi « généreuse », notamment dans un pays si fier de ses valeurs et si jaloux de sa sacrosainte « identité arabo-musulmane » ? En dépit de ma résistance farouche, je me suis laissée guidée par le vent de la controverse et me voilà en train de rédiger un article sur le fameux « yajouz aw la yajouz », une phrase devenue monnaie courante dans un pays en mal de spiritualité et qui suscite, à chaque fois, une avalanche de réactions, chacun y mettant du sien en croyant détenir la réponse absolue et ultime à « the » Question : qu’en est-il du décolleté d’Amel Karboul ?
Pour les adeptes de la « liberté individuelle », chaque être humain est libre et responsable de ses paroles et de ses actes. Aussi, une personne a le droit de choisir le mode vestimentaire qui lui convient, et ce indépendamment de son statut et du contexte dans lequel elle se trouve. Toutefois, assumant pleinement ses choix, cette personne doit – en retour – accepter l’attitude de l’opinion publique qui est loin de former un bloc homogène et qui va se diviser entre partisans et détracteurs. De plus, être une personnalité publique n’est pas chose facile : on est épié et critiqué pour chaque fait et geste, en l’occurrence dans le monde politique qui ne pardonne pas et dont les protagonistes ne s’accordent aucune faveur.
Du coup, ma question ne vise pas les réactionnaires qui s’assument, mais les « pseudo-progressistes » qui sont « choqués » du décolleté d’Amel Karboul : trouverez-vous cela aussi choquant dans un pays occidental ? … Certainement pas. Si Laurent Ruquier dans son émission « On n’est pas couché » ou bien Yann Barthès dans « Le petit journal » en parlent dans ces chroniques que vous suivez certainement au quotidien, vous allez en rire, vous dire que ce sont leurs mœurs et coutumes et peut-être trouverez-vous cela joli.
Mon article est ainsi dédié aux chantres d’une schizophrénie sociale qui veulent que certains tunisiens se voient comme progressistes, mais qui – au fond – ne le sont pas. Aussi conservateurs et rétrogrades que ceux qu’ils taxent de dangereux criminels obscurantistes, ces « pseudo-progressistes » sont pourtant les premiers à agir en conservateurs et à agiter l’étendard de nos sacrosaintes valeurs et traditions nationales. D’autres manifesteront leur conservatisme en avançant l’argument suivant : « Même en Occident, les femmes politiques sont toujours sobres !». Or, ces derniers ne connaissent sûrement pas les photos où la « masculine » Angela Merkel arbore un décolleté plongeant ou bien celles où Ségolène Royal figure en bikini. « Ah ! C’est leur culture », mais pourquoi vous vous définissez comme progressistes alors que vous distinguez « eux » et « nous » et défendez votre position en affirment que « Chez-nous, cela ne se fait pas » ? … Oui, être progressiste, c’est aller au-delà des dictats religieux, des conventions et des interdits sociaux en acceptant que le corps (féminin ou masculin) soit libre, décomplexé et mis en valeur.