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12 % des femmes tunisiennes malades du cancer, trahies par leurs époux

  • 12 % des femmes tunisiennes malades du cancer, trahies par leurs époux

Quand la maladie met à nu le désengagement conjugal et le poids du machisme

En Tunisie, la maladie ne se vit pas toujours à deux. Selon les données recueillies par l’Union nationale des femmes tunisiennes (UNFT), 12 % des femmes atteintes d’un cancer ont été abandonnées ou ont fait l’objet d’une demande de divorce émanant de leur mari en 2024.
Un chiffre qui glace le sang et met en lumière un phénomène douloureux : la trahison au cœur même du couple, à un moment où la femme a le plus besoin de soutien et de tendresse.


 Quand le cancer devient une épreuve morale autant que physique

La présidente de l’UNFT, Radhia Jerbi, dénonce une « mentalité machiste » toujours ancrée dans certains milieux, où la maladie est perçue comme une faiblesse, voire une faute.
« Certaines femmes nous disent que leur mari n’a pas supporté de les voir affaiblies, transformées par la maladie ou les traitements », confie-t-elle.
Derrière ces ruptures, se cache un déni du corps féminin malade, et plus encore, une incapacité à concevoir la femme autrement que dans sa fonction d’épouse “complète”, belle et disponible.


La justice tunisienne face à un vide éthique

Sur le plan juridique, le divorce pour préjudice reste laissé à l’appréciation du juge.
Jerbi rappelle cependant qu’en cas de maladie grave, comme le cancer, le tribunal devrait opter pour une annulation du mariage — si la maladie existait avant l’union et était ignorée — plutôt qu’un divorce pour préjudice.
Cette distinction protège la femme d’une condamnation morale implicite.

La Cour de cassation a récemment consolidé cette lecture : le cancer ne peut être considéré comme un motif de divorce, dès lors qu’il n’y a ni tromperie ni violence.
Une position courageuse, mais dont l’application reste rare, dans un système où la pression sociale et les mentalités patriarcales pèsent encore lourd.


 Le piège du divorce “à l’amiable”

Radhia Jerbi pointe également du doigt le divorce à l’amiable, souvent imposé sous couvert de paix familiale.
Beaucoup de femmes, affaiblies par les traitements, acceptent ce compromis en silence.
Elles portent sur leurs épaules la culpabilité de la maladie, convaincues d’être devenues un fardeau.
« Elles pensent libérer leur mari, alors qu’elles s’abandonnent elles-mêmes », résume Jerbi avec gravité.
Un drame psychologique souvent invisible, mais ravageur.


 Témoignages d’un abandon

Lors d’une table ronde organisée à Tunis sur « Les répercussions du cancer sur les relations conjugales », Lahmar, spécialiste sociale du centre d’écoute de l’UNFT, a rapporté des témoignages bouleversants :
des maris refusant la mastectomie de leur épouse, rejetant leur corps transformé, quittant le foyer conjugal ou intentant des actions en justice pour incapacité “conjugale”.
Des récits qui rappellent que la violence peut aussi être silencieuse, sans cris ni coups, mais faite d’absence, d’indifférence et de fuite.


 La maladie, miroir de notre société

Au-delà du drame individuel, cette réalité questionne la solidarité au sein du couple tunisien moderne et le rapport collectif à la fragilité féminine.
Soutenir une épouse malade ne devrait pas être un acte de bravoure, mais l’expression la plus naturelle de l’amour et de l’humanité.
Le cancer, en brisant le vernis du quotidien, révèle souvent la solidité — ou la faillite — du lien conjugal.

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