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Festival de Carthage 2025 : une ouverture entre mémoire musicale et symbolique nationale

  • Festival de Carthage 2025 : une ouverture entre mémoire musicale et symbolique nationale

Par Rim OUERGHI

Le Festival International de Carthage a ouvert, samedi 19 juillet, sa 59e édition avec une soirée hommage à la mémoire musicale tunisienne. Intitulé « Men Qaa El Khabia », le spectacle du maestro Mohamed Garfi, présenté devant un théâtre presque comble, a voulu raviver l’éclat de trésors oubliés du patrimoine sonore tunisien. Une soirée placée sous le signe du respect, du devoir de transmission… mais qui a aussi soulevé certaines interrogations sur le positionnement artistique du festival aujourd’hui.

Un concert hommage… soigné mais sans réelle surprise

Accompagné de l’Orchestre symphonique tunisien et d’une chorale tout en sobriété, Mohamed Garfi a orchestré un voyage musical soigné, ponctué d’intermèdes poétiques animés par l’acteur Jamel Madani, dans un fil narratif inspiré. La structure du concert, construite autour de grands classiques, a su séduire un public ému par les titres de Hédi Jouini, Mohamed Jamoussi ou encore Gaddour Srarfi. Les voix puissantes de Meherzia Touil, Hamza Fadhaloui, Chedly Hajji et Chokri Omar Hanachi ont redonné vie à des morceaux emblématiques, dans une mise en scène élégante.

Cependant, l’absence d’un parti pris scénique fort ou d’une réinterprétation audacieuse a parfois laissé l’impression d’un hommage figé, plus muséal que vivant. Si le respect de l’héritage est essentiel, l’absence de dialogues plus contemporains ou de perspectives nouvelles sur ce patrimoine a pu frustrer les spectateurs en quête de réinvention.

Un message engagé mais discret

La soirée s’est clôturée sur une note symbolique forte, avec une interprétation collective de « Sayf fal Yoch’har », dédiée à la résistance du peuple palestinien. Les images projetées de femmes rurales et de manifestations en soutien à la Palestine ont apporté un souffle engagé, quoique trop ponctuel dans le déroulé global du spectacle. Cet élan, bien que sincère, semblait ajouté plutôt qu’intégral à la narration artistique.

Une place (encore) marginale pour les femmes

Si la voix magnifique de Meherzia Touil a été un moment fort de la soirée, la part féminine sur scène comme dans la direction artistique reste minoritaire, en décalage avec le vivier artistique féminin en Tunisie. Alors que les artistes femmes jouent un rôle central dans le paysage culturel actuel, leur visibilité dans cette ouverture reste modeste. Pour un festival qui se veut miroir de la société tunisienne, cette absence de parité mérite d’être questionnée.

Mémoire, transmission… et nécessité de renouveau

La 59e édition s’ouvre donc sur un spectacle respectueux, empreint de nostalgie, mais qui aurait gagné à plus d’élan narratif, à davantage de prise de risque, et à un regard plus contemporain sur l’héritage musical tunisien. En période de crise sociale et de repli culturel, le rôle du Festival de Carthage ne peut se limiter à célébrer le passé : il doit aussi proposer des visions nouvelles, stimuler la réflexion, et affirmer une parole artistique forte.

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