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La zone du cerveau qui diminue sous l’effet du sexisme est en fait celle que l’on utilise pour contrôler ses émotions
Le sexisme modifierait la structure du cerveau des femmes ! Voilà la conclusion d’une étude parue dans la revue PNAS en mai 2023. Dans les pays les plus inégalitaires étudiés (comme l’Inde, la Turquie ou bien le Brésil), l’hémisphère droit du cerveau était plus mince chez les femmes que chez les hommes.
Dans les pays plus égalitaires (comme la Finlande ou la Suède), les cerveaux des deux sexes ne présentaient aucune différence. Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs de l’étude ont scruté 7 876 examens IRM réalisés dans 29 pays sur 4 078 femmes et 3 798 hommes âgés de 18 à 40 ans. Ces imageries cérébrales provenaient de patients en bonne santé, qui s’étaient rendus à l’hôpital pour des expériences neuro-scientifiques sur le fonctionnement du cerveau.
Deux grandes forces pourraient expliquer ces différences cérébrales dans les pays les plus sexistes.
D’une part, l’anxiété. « Des études ont montré que le cortex cérébral de souris exposé au stress devenait de moins en moins épais » explique Nicolas Crossley, psychiatre et auteur principal de l’étude. « L’adversité a des impacts visibles, chez les souris mais aussi sur le cerveau des humains. La violence physique et sexuelle, ou encore le fait d’être délaissée sont des traumatismes qui laissent des traces » poursuit le professeur invité au département de psychiatrie de l’université d’Oxford et professeur associé à la Pontificia Universidad Católica au Chili.
D’autre part, le manque d’opportunités. « Dans les pays les plus inégalitaires, les femmes ont moins accès à l’éducation et à l’emploi » poursuit le chercheur. Or, inévitablement, un cerveau privé de nouvelles stimulations se développe moins. À titre d’exemple, en Inde – pays scruté par l’étude parue dans PNAS -les femmes effectuent près de dix fois plus de tâches ménagères non rémunérées que les hommes, selon un rapport du cabinet de conseil McKinsey. Conséquence : elles demeurent bien souvent exclues des emplois rémunérés et potentiellement plus stimulants.
En 2018, 13,5 % des filles âgées de 15 à 16 ans n’étaient pas scolarisées là-bas, selon le rapport annuel sur l’état de l’éducation (ASER). Et que dire de l’Afghanistan, pays le plus inégalitaire sur les questions de genre selon le Forum économique mondial ? Les filles de plus de 12 ans n’ont plus le droit de retourner à l’école depuis le mois de septembre 2021. Des décisions qui auront sans doute aussi un impact visible sur leur cerveau.
« Nous aimerions poursuivre nos recherches dans les pays les plus inégalitaires sur les questions de genre. Pour cette première étude, cela n’a pas été possible. L’Afghanistan, le Yémen ou l’Irak (les pays les plus inégalitaires selon l’indice mondial d’écart entre les sexes du Forum économique mondial) n’avaient pas les données IRM sur lesquelles nous voulions travailler » explique Nicolas Crossley. La neuro-imagerie reste un outil coûteux et bien souvent difficile d’accès.
Quelles sont les conséquences concrètes pour les femmes ?
Elles ont de plus grandes chances de faire des dépressions. « La zone du cerveau qui diminue sous l’effet du sexisme est en fait celle que l’on utilise pour contrôler ses émotions » souligne Nicolas Crossley. Dans les pays très inégalitaires, les femmes ont donc moins d’outils pour affronter les vicissitudes de la vie. Ce cerveau un peu moins épais par endroit permettrait à la dépression mais aussi au syndrome de stress post-traumatique, de s’installer plus facilement chez les femmes que chez les hommes.
Cette corrélation entre le genre et la santé mentale était déjà connue : les femmes ont deux fois plus de risques d’être victimes de dépression que les hommes. Les chercheurs de l’étude parue dans PNAS en mai 2023 pensent, cette fois, avoir trouvé le mécanisme biologique sous-jacent.
« Personne d’autre n’avait souligné l’effet des inégalités de genre sur le cerveau. Notre étude met en évidence le rôle de l’environnement dans les différences cérébrales entre les femmes et les hommes. Là où certains restent persuadés que « la nature » détermine tout, nous mettons en avant le rôle de la société dans la structure du cerveau » insiste Nicolas Crossley, qui voudrait également poursuivre l’étude pour tenter de comprendre à quel moment de la vie ces différences cérébrales commencent à se voir dans les pays les plus sexistes.
Autrement dit, si les conséquences de ces inégalités s’observent dès l’enfance, les chercheurs espèrent contribuer à promouvoir une politique d’égalité des genres, cette fois fondée sur les neurosciences.