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Budget 2018 : La vérité des chiffres ?

  • Budget 2018 : La vérité des chiffres ?

Par Rejeb  Haji*

« Notre combat d’aujourd’hui porte en lui les germes de l’espoir. C’est  une œuvre de longue haleine, qui exige sérieux, enthousiasme et abnégation. »
                                      Habib Bourguiba, Monastir, 23 juillet 1965
 

Dans les pays développés, l’étude approfondie des dossiers où des choix du futur sont imaginés et proposés, proviennent souvent des études élaborées par des commissions pluridisciplinaires.  Des hommes et des femmes choisis pour leur intégrité et pour leur connaissance du domaine étudié, y travaillent pendant des mois. Ils entendent et écoutent des acteurs qui ont participé de près ou de loin et finalisent un rapport transmis au Président de la République et  au Premier ministre. Les présidents de ces commissions sont nommés par le Président de la République ou par le Premier ministre. Loin de l’influence des partis politiques, ils épluchent les dossiers, écoutent tous ceux qui ont eu des responsabilités dans le domaine étudié  et analysent les projets de leur point de vue, en tenant compte des différentes interventions.
Comment sont composées les commissions dans  notre pays et quelles sont leurs conclusions ?
Un premier constat révélateur : leur inefficacité. Il est curieux de constater que, dans toutes les affaires pour lesquelles ont été créées des commissions, des islamistes ou apparentés sont les principaux protagonistes. Certains membres  y sont parfois aussi bien  juges que parties.
A titre d’information, il faut rappeler quelques-unes de ces commissions. Au lecteur d’en chercher le déroulement et la fin de leurs travaux:
la commission d’enquête sur les réseaux de recrutement et d’envoi des «jihadistes» tunisiens en Syrie …
         – la commission d’enquête sur les manifestants des événements du 9 avril 2012;
         –la commission d’enquête sur l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis, le 14 septembre 2012;
         – la commission d’enquête sur les évènements de Siliana, les 27 et 28 novembre 2012 ;
         – la commission d’enquête sur l’attaque du siège de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le 5 décembre 2012 ;
         – l’enquête sur l’assassinat du martyr ChokriBelaid, le 6 février 2013 ;
Les enquêteurs désignés ne sont pas au-dessus de tout soupçon puisqu’ils appartiennent à des partis politiques et par conséquent sont soumis à leur dictat. La situation  de ces commissions demeure floue. La recherche de la vérité n’est pas encore programmée dans la fin de leurs travaux!
Peut-être faut-il créer une commission qui enquête sur les suites et les dérives de ces commissions qui tardent à nous révéler le résultat de leurs investigations.
Notre pays, en fait, vit encore dans le transitoire et dans un brouillard qui s’épaissit jour après jour. Même s’il est celui des miracles, il n’a pas réussi à sortir du trou. La crise économique est à son paroxysme, malgré le défilé incessant, à la tête du pouvoir, de centaines de ministres- souvent des binationaux- avec des centaines de collaborateurs. La plupart de ces derniers sans curriculum vitae, sont, sans vergogne et en plus d’illustres  inconnus.
Que reste-t-il de cette révolution pour laquelle tant d’hommes et de femmes ont participé avec espoir et résolution?
Ils attendent le renforcement des libertés et leur garantie. Ils ont en retour une situation sécuritaire peu rassurante. Faut-il en rire ou en pleurer?
Qui fabrique les lois et qui contrôle leur exécution ?
Qui les interprète ?
Quels procédés de recours prévus?
Qui décide de leur constitutionalité ?
La Constitution elle-même recèle des insuffisances, alors que certains de ses auteurs la considèrent comme la meilleure du monde ? Sans organisation, les groupes parlementaires sont-ils totalement autonomes par rapport aux partis politiques? Ouverts au nomadisme des députés, constituent-ils encore l’expression organisée des partis au sein de l’Assemblée ?
Pour mieux peser le danger que court le pays et mieux saisir les conditions de l’élaboration du budget 2018, il nous a semblé utile de citer, des indications tirées  « des résultats provisoires de l’exécution du budget de l’Etat – juillet 2017″, publié au mois de septembre par le ministère des Finances. Il ressort que:
  – le déficit s’est aggravé de près de 3% du PIB ;
         – une hausse des dépenses de gestion, surtout pour le paiement des salaires de la fonction publique qui ont connu un saut de 11,4% alors que les prévisions étaient de 4,1% pour toute l’année;
         – la non réalisation des recettes fiscales prévisionnelles : les recettes collectées ne représentent que le 1/3 des recettes prévues ;
         – la recette des biens confisqués est nulle alors que les prévisions sont de  200MD ;
         – Aucun don extérieur  n’a été enregistré alors que le montant prévu est de 250 MD ;
         – les revenus des participations des sociétés publiques sont de l’ordre de  19 MD alors que les  prévisions sont de 220MD ;
         – la collecte des revenus de la commercialisation des carburants est de 200 MD alors qu’elle est programmée à 500MD;
         – la chute vertigineuse du dinar de 18% par rapport à l’euro et de 10% par rapport au dollar ;
         – le remboursement des intérêts de la dette a atteint 1,502 milliards de dinars alors que les prévisions étaient de 2,215 milliards pour toute l’année ;
         – le déficit budgétaire s’est aggravé de 3,177 milliard de dinars (3% du PIB) alors que le déficit prévu est de 5,345 milliards de dollars pour toute l’année(5,4%)…
Telle est la vérité des chiffres jusqu’au mois de juillet 2017. Il faut espérer une meilleure situation des réalisations au mois d’octobre !
Ces données ne sont pas à la portée du citoyen lambda, mais elles aident à mieux mesurer et comprendre  les besoins de financement du budget d’où la nécessité des sacrifices pour tous. Mais que faire nous dira-t-on ? Le sauf conduit pour rétablir la confiance viendrait du renoncement des partis aux postes ministériels et de laisser le pays vaquer à ses obligations. Il est capable de s’en sortir par-delà les défis à surmonter. Il suffit d’une «  révolution à la Macron » qui consiste à dénicher des cadres qui ont réussi et non des chargés de mission qui ont échoué et dont les connaissances en économie sont superficielles voire douteuses.
De leur échec,le budget 2018 devrait tirer les conclusions qui s’imposent  et s’assurer de ses prévisions pour le futur. Il doit  être celui de l’urgence économique et garantir la relance. Il devrait exclure de ses prévisions les institutions qui n’ont pas présenté leur rapport d’activité.
S’il est compréhensible d’augmenter le budget des Ministères de la défense et celui de l’intérieur, par contre, à cause de l’urgence économique, ceux de la Présidence, du Gouvernement et  de l’ARP devraient être réduits. Plus de cabinets parallèles et par suite compression des dépenses, même si elle est de pure forme ! Les subventions devraient connaître le même sort, quitte à supprimer des instances budgétivores qui sont sans impact sur la vie du citoyen.
Ce budget devrait traduire les choix des gouvernants   d’investir dans le savoir car l’Etat demeure  le garant et le vecteur de l’innovation. C’est lui qui stimulera la productivité, créera des emplois et contribuera à la qualité de vie du citoyen. La demande de réformes structurelles profondes, destinées à corriger les faiblesses, mettent un certain temps à porter leur fruit. Elle devrait être identifiée pour être programmée et étalée dans le temps.
Il faut convaincre les donateurs de leur étalement dans le temps. Le FMI nous tient en laisse et les allées et venues de ses experts sont sans interruption pour assurer le suivi des recommandations de son conseil. Notre pays devrait « exécuter une série de réformes dans les secteurs économiques, financiers et de développement régional.». C’était une obligation pour le décaissement de la 2ième tranche du prêt. Le budget 2018 répondra- t-il à ces contraintes pour avoir du financement ? Il faut avoir à l’esprit que les promesses  de « Tunisie 20 » ont été conditionnées par la réussite des négociations avec le FMI.
Tout cela est comptabilisé par certains sur la spécificité de la période de transition par laquelle est passé  le pays. Alors que c’est un signe d’échec patent des gouvernants successifs.Au fil du temps les promesses se renouvellent et le citoyen lambda ne voit rien venir. Il s’endette pour la survie du jour et s’en lasse des querelles des prétendants à sa gouvernance. Aucun signal n’est perceptible de compression des dépenses de l’Etat, plutôt le contraire.
Au japon, puisqu’on cherche toujours des exemples ailleurs, l’économie, l’industrie et le commerce sont dirigés par un seul ministre ! En période de crise, chez-nous, on multiplie  les portefeuilles pour satisfaire les partis partenaires au pouvoir. Le renoncement à la politique gagne du terrain et il n’est pas besoin d’institut de sondage, hors la loi, pour le confirmer.
A l’évidence, après la révolution, les premiers venus ont été les premiers servis d’où la nécessité d’un bilan de ceux qui ont gouverné le pays. Ils ont en fait détruit l’économie, endetté le pays et crée de nouveaux riches.
Faut-il enfin militer pour la création d’un conseil national de l’évaluation de l’action politique qui donnerait alors les vrais chiffres ? Pourquoi pas ?
H.R

DOSSIERS SPÉCIAUX