- société
La fermeture d’un centre culturel c’est comme l’incendie d’un musée national, c’est une part de civilisation humaine et la mémoire contemporaine qui part en miettes. Or, la vocation première d’un ministère de la culture est de veiller à la préservation de ce qui a de plus noble dans l’humain: sa créativité, son imagination, ses performances intellectuelles et artistiques, ses visions du monde, la liberté de ses pensées, la diversité de ses expressions. La subvention de la culture est aussi fondamentale que de subventionnement de la nourriture de base du citoyen. Sans cela, notre dernier rempart contre l’obscurantisme ne tardera pas à s’écrouler !
La « mort » du « Cinevog » semble être considérée comme un « non-événement », la nouvelle a été reçue avant hier comme un drame. Un état de choc dans la capitale, sentiment d’irréalité au réveil chez les habitants de la banlieue Nord et une grande déception, chez les amateurs et les professionnels de la culture. La décadence culturelle est aussi pointée du doigt, comment faire vivre un espace culturel dans un pays qui a fait de la culture sa dernière préoccupation, qui n’est pas conscient de l’importance des arts pour faire évoluer les mœurs et dégager les esprits, qui est incapable de soutenir une industrie culturelle et n’y investit pas suffisamment !
« Cinevog » est un cinéma à toit ouvrant qui a été lancé par la famille italienne » Lambardo » entre les années 1948 et 1950. Cet espace a vu de beaux jours jusqu’aux années 90 lorsqu’il fut obligé de fermer ses portes fautes de moyens, d’un manque d’affluence, de changement des mœurs…Il ne pouvait plus survivre en restant juste un cinéma.
C’est grâce au cinéaste et homme de théâtre Moncef Dhouib que cet espace qu’il a ouvert ses portes de nouveau. Mais voilà, le contexte économique, culturel, social et politique change et les conséquences économiques sévères est une logique fatalement désastreuse. Il semble y avoir plus d’évidence que de brutalité dans cette fermeture, un fatalisme inhérent à l’« esprit maison ». Des faux espoirs aux élans brusquement interrompus, Moncef Dhouib était conscient depuis une longue date que le destin de l’espace ne tenait plus qu’à un fil.
L’événement est déclencheur d’un tournant dans la culture tunisienne et les esprits s’enflamment à l’idée de voir un bel espace fermait ses portes.Crises, incertitudes, projets non aboutis, restructurations avortées. Depuis longtemps déjà, une épée de Damoclès menaçait »Cinevog »et La souffrance s’extériorise par une pétition lancée sur le web destiné au ministre de la culture. Les mots laissent transparaître amertume et colère.
La construction sociale de l’art ne passe-t-elle pas par la dynamique de ses marchés ? La question des publics et de la « démocratisation » de la Culture ne croise-t-elle pas parfois une certaine démarche marketing des centres culturels privés ?
En tant que témoin d’une époque, en tant qu’incarnation des rapports complexes entre mémoire et Nation, cet espace qui ferme suscite des réactions qui débordent non seulement ducadre de la nostalgie mais aussi du cadre de la conscience citoyenne que les sociétés évoluent uniquement grâce à al culture.
Quant à l’espace en dépit de son univocité actuelle, n’entame-t-il pas lui aussi une rupture de même nature? C’est cette conjonction qui serait à la source de la fermeture de cet espace culturel qui avait fait son temps… ?
Alors soutenons le comité de soutien appelé « les amis du CINEVOG » lancé par le Dr Hakim Ben Hammouda parce que ce genre d’événements ne peuvent et ne doivent pas nous priver des grands rendez-vous culturels.
Par Emna Khelifi