- société
Par Ghalia Ben Brahim
Le premier procès du premier assassinat politique en Tunisie, l’énième date noire de ce pays. Un 6 février pas comme les autres, un mercredi des plus noirs de tout ce qu’on nous avons connus auparavant. L’amertume de l’injustice, l’incompréhension de l’horreur humaine et le sentiment d’avoir été trahi ont été présents le matin du mardi 30 juin 2015 devant le Tribunal de première instance de Tunis.
La première séance d’un procès qui durera, certainement, pour d’interminables mois. Tout y était, comme si c’était hier… Les camarades de Chokri, sa famille et sa femme. Elle, l’unique Basma Khalfaoui, celle qui, depuis le 6 février 2013, subit l’injustice de la perte de l’amour de sa vie et l’injustice de ces personnes qui ne ratent pas une occasion pour la qualifier de tous les noms. Elle était là ce jour-là aussi et j’ai vu, en elle, le même regard que j’ai croisé au cimetière d’Al Djallaz le 8 févier de l’année noire. Un regard plein de tristesse digne, d’un amour perdu et d’une éternité espérée et désespérante.
Le plus dur était d’accéder à la salle du Tribunal qui, et d’une façon exceptionnelle, a décidé de tenir la séance dans le hall de l’établissement vu le nombre impressionnant de personnes venues assister à la séance. Le comité de la défense du martyr a accepté plus de 400 demandes d’avocats souhaitant se constituer pour le compte du défunt. Des figures politiques ont afflué de partout pour assister au premier procès du genre de l’Histoire de notre pays.
Ainsi, Bochra Bel Hadj Hmida, Saïda Garrach, Ahlem Belhadj, Radhia Nassraoui, Mbarka Brahmi, Sami Taïeb, Nizar Ammami, Zied Lakhdar et tant d’autres ont répondu présents à l’appel du martyr. Séance exceptionnelle pour une ambiance des plus amères.
A mon arrivée dans la salle, tout m’est revenu, dans les pires détails. Le coup de téléphone d’une amie m’annonçant, avec une crise de larmes telle que ses mots m’étaient impossibles à déchiffrer, la mort de Chokri. C’était vers les coups de 8 heures 30. Je venais d’arriver au bureau. J’ai quitté les lieux, j’ai pris un taxi et je lui ai dit « je veux aller voir Chokri ». Arrivée à la clinique d’Ennaceur, la crise d’angoisse générale m’avait, paradoxalement, calmée. Le reste – les funérailles, les marches, les protestations – n’est que littérature…
27 accusés, dont 4 qui ont accepté de comparaître devant la Cour. Les autres, des accusés, ont refusé de le faire à cause de la présence massive des médias. Leurs avocats, des confrères de Chokri, ont demandé au Tribunal de refuser l’accès aux journalistes ce à quoi Basma Khalfaoui a répondu « ce procès doit être retransmis, ce procès ne concerne pas uniquement la famille du martyr mais tous les citoyens tunisiens ». Oui madame, nous sommes tous concernés par ce procès qui, si jamais il est mené à bien, sera l’un de nos plus importants remparts contre cette montée du terrorisme qui nous tue, petit à petit.
Une première séance qui a débuté avec plus de deux heures de retard et qui a pris fin vers les coups de 15 heures. Une première audition qui a juste rejeté toutes les demandes de libérations formulées par les avocats des accusés et qui nous a laissé sur notre faim. Rien de grave, Chokri est parti vivre au fond de nos cœurs et rien que pour cela, nous resterons, unis pour la cause, en train de suivre les plus brefs détails de l’affaire et nous finirons, un jour où l’autre, par voir la vérité dévoilée à tout le monde. Et vive notre martyr légende !