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L’association internationale des musulmans coraniques : Le refus de la diversité est l’obstacle

  • L’association internationale des musulmans coraniques :  Le refus de la diversité est l’obstacle

Dans le cadre de ses activités hebdomadaires, l’association internationale des musulmans coraniques a tenu une table ronde où un débat sur la diversité au niveau des textes sacrés a été tenu. Présidé par docteur Mohamed Talbi, et avec la participation, entre autres, de monsieur Samir Smalli, les présents sont arrivés à établir le texte suivant qui, basé sur les textes sacrés en général et sur le texte coranique en particulier, prouve la profondeur du concept de la diversité dans les religions. Rappelons que l’association internationale des musulmans coraniques a été fondée par Mohamed Talbi et qu’Olfa Youssef en est la vice-présidente.
Le Christianisme, refusant la diversité, si ce n’est comme un état de fait calamiteux et transitoire, il n’y a pas de solution qui ne soit autre chose qu’un équilibre de force qui peut être à tout moment rompu, dès que le partenaire donne des signes de faiblesse. C’est-ce qui nous était arrivé et nous ne sommes pas encore au bout du tunnel. Nous respectons l’autre, mais pour être nous-même respectés, il nous faut nous faire respecter par l’autre, par tous les moyens, sans agression ni complexe. Le respect n’est pas un cadeau que l’ont fait sur un plateau d’argent. L’équilibre des forces, pour qu’un système soit cohérent, est une loi universelle. La dissuasion, par la force de la pensée et en cas de nécessité par celle des armes, pour faire barrage aux agressions, peut seule en être le garant. C’est ce qui nous a poussés à nous engager dans l’effort collectif de rénovation de la pensée musulmane. Les armes, ce n’est pas notre affaire, et c’est un autre sujet qui ne peut être abordé ici. A ce propos il y a beaucoup à dire sur les despotes qui nous gouvernent et qui sont les meilleurs alliés de nos agresseurs.
Avec nos frères juifs, la situation est totalement différente. Comme l’Islam, le Judaïsme n’est pas une religion missionnaire, envahissante et conquérante des âmes urbi et orbi. Avec les Juifs nos ennuis sont d’une nature entièrement différente. A ma connaissance, les Juifs ne sont pas en communion totale de pensée avec le Pape. Ils ne partagent pas toutes ses convictions sur notre Prophète. Certes ils n’admettent pas Muhammad comme Prophète, pas plus que Jésus d’ailleurs, ni Prophète, ni encore moins Dieu dont ils sont rendus coupables de son assassinat. Pour les Juifs, Muhammad n’est pas Prophète, pas pour eux en tout cas. Pour eux c’est une affaire de Gentils. Elle ne les concerne pas. Ils ne tiennent pas sur lui les mêmes propos que Benoît XVI. Ni André Chouraqui[1], d’origine algérienne et qui fut mon ami, ni Jacques Attali ne pensent comme lui.
Comme l’Islam, le Judaïsme n’est pas une religion hégémonique et totalitaire. Comme l’Islam, le Judaïsme n’est pas une religion apostolique, conquérante et missionnaire. Conformément aux prescriptions mêmes de la Torah (Dt., 32 : 8), le Judaïsme est fondé sur la différence et la diversité. Yhwh est le Dieu privé des Juifs. Les Gentils ont leurs dieux propres. Nous sommes les Gentils, et notre Prophète est justement «Le Prophète des Gentils» (Al-Nabî al-Ummî) envoyé à tous les hommes et à toutes les nations, pour avertir et annoncer sans contraindre. Les Juifs ont leur lecture de la Bible, parfaitement respectable, et comme la Bible est aussi notre Livre, nous en avons notre lecture. Cela peut se concevoir, sans donner lieu à des conflits. Nos différents avec les Juifs sont de nature uniquement et exclusivement politique, donc susceptibles d’être un jour politiquement résolus. Il n’y a pas de conflits politiques qui durent éternellement. Disons le plus vite ils sont résolus, le mieux c’est.
Pour nous, en effet, le Coran s’inscrit dans une continuité parachevante, rectifiante, authentifiante et prédominante sur la Bible, qui est aussi notre Ecriture, déformée à travers les âges par une multitude de scribes entassant les doublons, les versions superposées et souvent contradictoires. L’Islam est «Millat Ibrâhîm» (la Tradition d’Ibrâhîm, Coran, 2 : 130, 135 ; 3 : 95 ; 4 : 125 ; 6 : 161 ; 12 : 38 ; 16 : 123 ; 22 : 78). Il n’est pas une religion nouvelle. «La religion [de toujours] auprès d’Allâh, est al-Islâm» (3 : 19). «Al-Islâm», en arabe, est la «Soumission» volontaire, par un acte de foi libre et rationnel, au Dieu Unique, Un et universel. En ce sens, il est la religion originelle et universelle de la nature humaine, dès que l’homme est devenu théotrope en émergeant du «fleuve du vivant», comme dit Konrad Lorenz. Ibrâhîm, taraudé par le doute, fut conduit par Allah à cette religion en méditant sur les Signes. Nous faisons comme lui, et nous suivons sa voie. Allah dans le Coran ne cesse de nous demander de lire les Signes (Âyât, 382 occurrences dans le Coran), pour trouver, comme Ibrâhîm, le chemin qui mène vers Allah, et la religion originelle, universelle et rationnelle. Ibrâhîm du Coran est très différent d’Abraham de la Bible, devenu le père d’une coterie, engagé dans des comptes d’apothicaire avec son Dieu privé, Yhwh. Le Coran lui restitue ses vrais traits.
Mais personne n’est obligé de s’engager sur les pas d’Ibrâhîm du Coran. Nous n’avons pas pour mission de coraniser le monde. Notre mission est de l’humaniser[2]. Le Coran, dans plusieurs versets d’une parfaite clarté, admet la diversité, voulue par Allah et faisant partie de Son Plan sur le monde. Nous ne forçons personne d’entrer dans sa maison pour qu’elle «soit remplie» (Lc., 14 : 23). La diversité est le corollaire obligé de la liberté religieuse, à laquelle l’Islam est fermement attaché sur commandement ferme et sans ambages du Coran.
Ce chapitre je l’ai écrit par anticipation, pour le jour où il sera possible d’établir avec nos frères juifs et chrétiens, qui ont leur place dans le Coran, des relations basées sur la transparence sans concession ; sur le droit à la différence sans arrière-pensée ; sur la diversité dans le respect mutuel ; et sur le droit au respect, au besoin par le recours à la dissuasion, chaque fois qu’il y a ingérence extérieure et manquement au respect. Le respect n’est pas une générosité, un cadeau que l’on fait. Il s’impose de droit, et au besoin on l’impose par tous les moyens intellectuels, et s’il le faut matériels de droit. Nous parions sur un avenir sans dominateurs ni dominés. L’Islam n’est plus complexé. Aujourd’hui il n’y a plus de place pour «l’abominable Mahomet.» S’il faut rendre coup pour coup, nous le ferons. Si on cherche la confrontation, on l’aura. Mais nous cherchons plutôt à construire.

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