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Tunisie : pourquoi ce palmarès djihadiste ?

  • Tunisie : pourquoi ce palmarès djihadiste ?

 
Par Hajer Zarrouk  
En Tunisie, l’une des questions les plus brûlantes et les plus complexes de cette période postrévolutionnaire reste la suivante : pourquoi ce pays réputé pour son progressisme précurseur et pour son ouverture par rapport au reste du monde arabe, est-il subitement devenu – selon les enquêtes des instituts internationaux de sondage – le premier pays exportateur de djihadistes ?
A vrai dire, la situation est incompréhensible et nous pousse à cogiter sur les raisons d’un tel paradoxe. Nous allons donc tenter de trouver une explication qui pourrait soulager notre inquiétude.
Depuis l’indépendance, la Tunisie s’est distinguée par son élan moderniste ou bien ce qu’on appelle par le « modernisme d’Etat ». Fort par l’allégresse qu’a suscitée la décolonisation du pays, le président Bourguiba a entrepris un chantier gigantesque, celui de projeter la jeune république dans la modernité. C’est ainsi qu’il s’est attelé à massifier l’école, à réformer le secteur de la santé, à instaurer la politique du planning familial ainsi qu’à faire évoluer les droits et le statut de la femme. Bourguiba a parallèlement tenté de convaincre les cheikhs de la Zeitouna de ce réformisme et ils n’ont eu de choix que d’accepter ces changements sociaux pour le moins brusques.
Mais ailleurs, dans le monde arabe, la modernisation peinait à s’installer.
Du coup, le basculement du pays en une pouponnière djihadiste ne nous semble pas aussi paradoxal que cela. Et pour cause, que cherchent les racoleurs de la chaire fraîche djihadiste sauf désavouer un pays qui, en voulant intégrer la modernité importée de l’Occident « mécréant », a – paraît-il – « oublié » ses valeurs religieuses et s’est détourné de « l’islam authentique » ? Que cherche la logique djihadiste sauf persuader ces jeunes que la Tunisie, étant le pays le plus libéral du monde arabe, est pleine de « brebis égarées » et qu’il leurs incombe le rôle de servir cette religion que – paraît-il – le peuple n’a pas su glorifié? Ces jeunes tunisiens sont ainsi devenus la proie facile des filières de recrutement djihadiste dans la mesure où on leur expose l’argument du modernisme « impie » et la plupart d’entre eux sont aujourd’hui convaincus qu’en partant au djihad, ils renouent avec la « vraie » religion et avec leur identité « intrinsèque » perverties par cinquante ans de modernisme.
Par ailleurs, il semble que cette argumentation ne soit pas tellement efficace dans le reste des pays arabes puisque seule la Tunisie fait figure d’exception en ayant connu une véritable vague progressiste.

Je finis cet article par cette citation de Chateaubriand : « Le poignard d’un Brutus peut être aisément forgé dans le sceptre de fer d’un César ; et les âmes énergiques, comme les volcans, jettent de grandes lumières et de grandes ténèbres ». Aussi, c’est à nous que revient la responsabilité de faire de nos enfants si énergétiques des volcans qui jettent de grandes lumières ou bien de grandes ténèbres.

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