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Que vivons-nous ? Pourquoi vivons-nous ?

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Que vivons-nous ? Pourquoi vivons-nous ?

 
La vieillesse est synonyme de fin de vie. On nait, on vit, on vieillit, puis on meurt. Quand on vieillit, on cesse généralement de travailler et on part à la retraite.
Devenus vieux, nous comprenons que, durant toute notre vie active, nous n’avons été qu’un numéro de dossier sur l’étagère poussiéreuse d’une administration. Nous comprenons que nous n’avons plus notre place dans la collectivité parce qu’en vérité on ne nous en a jamais accordé une, simplement nous n’avions pas le temps de nous en apercevoir.
Mais, quand nous nous en rendons compte, nous plongeons dans une sorte de désespoir et de non-sens. Ce vide se trouve, de plus, accentué par le départ des enfants qui ont quitté la maison depuis plusieurs années. Aussi, les questions qui nous taraudaient et que nous nous sommes furtivement posées dans notre jeunesse deviennent persistantes, nous poussant à tout remettre en cause : pourquoi suis-je venu au monde ?
La vie a-t-elle un sens ? Quoi de plus absurde que de vivre alors qu’on sait qu’on est seulement de passage ? Quoi de plus absurde que de souffrir avant de mourir : arthrose, cancers, maladies cardiaques, tension artérielle, sénilité …, etc. ? Pourquoi devrait-on finir si péniblement ? … En fait, la vieillesse est l’âge du « fait accompli » : voilà on est là, à attendre la mort, à attendre d’en finir avec la vie le plus paisiblement possible, entouré de notre progéniture. Quoi de plus insupportable que cette pensée ? Surtout quand on est en bonne santé, qu’on a encore à donner et qu’on redoute pour cela la fin de tout. La société nous renvoie une image plutôt horrible de la vieillesse : elle est perçue comme un handicape et la mort ne survient plus au foyer, mais souvent dans les asiles et les lits d’hôpitaux. On se sent alors à la merci d’un personnel médical aussi froid que maladroit et on compte les jours qui nous restent dans une chambre sans âme.
Dans son ouvrage, « La culture du narcissisme », Christopher Lasch constate un déclin du sens de la « continuité historique » dans la société postmoderne : « Vivre dans l’instant est la passion dominante » et nous perdons l’idée d’appartenir à une « succession de générations qui, nées dans le passé, s’étendent vers le futur ». La condition des personnes âgées est donc aggravée dans une société narcissique devenue hermétique à la sagesse née de ses propres expériences de la vie.
La tristesse de devoir disparaître est généralement atténuée par la continuité générationnelle, mais les anciens ne peuvent plus rien enseigner aux jeunes et focalisent sur la continuité de leur propre jeunesse. Aussi, il paraît qu’il existe mille et unes façons pour ne pas se laisser abattre par la vieillesse : s’injecter du Botox, faire de la marche, continuer à travailler, se faire lifter le visage, divorcer, se faire une maîtresse, élever ses petits enfants. Certes, on ne doute pas de l’efficacité de ces solutions. Toutefois, il existe – à mon avis – une seule façon pour ne pas se laisser abattre par la vieillesse : c’est savoir faire le deuil de sa jeunesse (ou plus exactement du moi), comprendre la sagesse de la nature et accepter que la mort ne nous gagne pas nous seulement, mais qu’elle est la logique ultime qui régit l’univers.
Dans le langage savant ou bien courant, « faire le deuil » veut dire renoncer. Ainsi, renonce-t-on à sa jeunesse comme on renonce à une illusion et l’on s’accorde à faire partie d’une symphonie cosmique qui, elle, ne s’achève pas. Les bouddhistes n’ont-ils pas raison de croire en plusieurs vies et de distinguer en chaque élément de la nature l’âme d’un défunt ? … Au final, est-ce la modernité, la société de consommation et le culte de l’image qui nous font autant redouter la vieillesse ?

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