- société
Par HAJER ZARROUK
S’il y’a un phénomène bien connu des étudiantes, des cadres, des employées et des femmes tunisiennes engagées en politique ou ailleurs, c’est bien celui du « sape ». Chez nous, le phénomène est devenu une culture. Il consiste à sanctionner tout volontarisme, à étouffer tout élan créatif et à couper l’herbe sous les pieds de toutes celles qui osent produire et inventer en dehors de la hiérarchie ou bien qui osent lui faire concurrence.
Dans notre pays, le phénomène du « sape » est un sport national : les professeurs sapent les étudiants, les chefs d’entreprises et les supérieurs sapent leurs subordonnés et les hommes politiques sapent leurs collègues. Chacun s’emploie à sa manière pour mater les « rebelles » et leurs faire comprendre qu’ici, c’est l’ancien ou c’est le masculin qui gouverne.
A vrai dire, le « sape » devient plus particulièrement visible, efficace et belliqueux quand il s’agit d’une femme. Et pour cause, cette dernière vient ravir ce qu’il y’a de plus cher pour l’homme : le pouvoir. Toutefois, ne soyons pas si injustes, car il existe aussi beaucoup de femmes « sapeuses » : celle qui ne veut pas voir briller sa collègue ou son employée, celle qui a l’angoisse de voir son étudiante si douée éteindre son « aura » dans l’université, celle qui ne veut pas voir une jeunette lui enlever sa place au sein d’un parti politique.
Pourtant, ce fut un temps où on tirait sa révérence dignement et où on donnait la relève à la jeune génération avec plaisir. Ce fut après l’indépendance : on voulait construire un pays libre, un Etat fort et on avait donc besoin de l’énergie et de la fraîcheur de la jeunesse pour y arriver. Depuis, tout est parti en décrépitude : la succession de deux régimes dictatoriaux ajoutée à des siècles de culte de la personnalité du chef ont altéré profondément les mentalités et les rapports. Il en résulte la création d’une hiérarchie narcissique et autocratique, incapable de démissionner, de lâcher prise et de concevoir le mot « fin ». Le fonctionnement de l’élite influant souvent sur le comportement collectif, la culture du « sape » s’est ainsi propagée dans toutes les classes sociales tunisiennes et dans tous les secteurs.
La culture du « sape » est comparable à un cancer social dans la mesure où elle engendre des générations de « perdants » qui n’apporteront rien de nouveau et qui seront entraînées dans un rapport sadomasochiste éreintant et stérile avec leurs collègues ou bien avec la hiérarchie. La culture du « sape » est également synonyme d’une société castratrice qui fonctionne encore selon un système de rapports vertical et archaïque. Cependant, on peut voir dans la révolution tunisienne, les prémices d’un renversement de ce système et l’installation d’un rapport saint entre les différents acteurs sociaux se sorte à créer un contexte propice à la production et à la créativité.