- société
Par Hajer ZARROUK
Aujourd’hui, le peuple tunisien a dit son « dernier » mot et a choisi démocratiquement son président pour les cinq prochaines années. Bon ou mauvais choix ? Les prochains jours ne le diront.
De ces années de transition démocratique difficiles, meurtrières et angoissantes je sors avec un ensemble de contemplations philosophiques – certes déjà évoquées par la sagesse savante et populaire – mais qui n’ont pris toute leur valeur qu’une fois vécues avec plus de dix millions d’autres concitoyens :
– Aucun événement aussi radical que la chute d’un régime dictatorial en un seul jour ne peut se faire dans la sérénité et dans l’entente cordiale.
– Le chaos est une phase transitoire, particulièrement déchaînée et effrayante, mais qui aboutit vers la fin à l’équilibre naturel des forces et à leur stabilisation. C’est comme la formation de l’univers depuis le Bigbang jusqu’à nos jours.
– Percevant autrefois la scène politique selon une vision manichéenne, c’est-à-dire l’empire du Bien contre celui du mal (devinez qui), la période de transition et notamment ces dernières élections, m’ont démontré que dans la lutte politique, les notions du Bien et du Mal n’existent pas, mais existent un ensemble d’intérêts contradictoires et divergents.
– Percevant autrefois la société selon une vision égocentrique et dichotomique, c’est-à-dire l’empire des « intelligents » contre celui des « cons » (devinez qui), je suis arrivée aujourd’hui à comprendre les motivations de ceux qui ne réfléchissent pas comme moi et à ne pas les rabaisser parce qu’ils ne pensent pas comme moi.
Par ailleurs, pour le parti gagnant des législatives et pour le nouveau président de la république tunisienne, rien n’est encore gagné. Aujourd’hui s’ouvre un chantier énorme pour Nida Tounes : un pays quasiment en faillite, des terroristes venus de toutes parts et qui ne semblent pas vouloir nous laisser en paix, des perdants qui sont prêts à en découdre et qui ne laisseront rien passer au nouveau gouvernement. Comme nous avons rendu la vie difficile aux partis vainqueurs de l’assemblée constituante durant quatre ans, nos adversaires vont faire pareil : c’est le jeu démocratique, ou plus exactement, c’est la guerre démocratique. Aussi, l’espoir que les tunisiens ont placé dans le parti Nida Tounes et en la personne de Béji Caid Essebsi est à la hauteur du dur labeur qui les attend : assainir l’administration, redresser l’économie tunisienne en berne, réformer le système éducatif et universitaire et réussir le défit sécuritaire, ce qui n’est pas chose facile vu ce qui se passe dans le monde arabe et les indicateurs internationaux.
Nous avons longtemps souffert. Nous avons enterré nos morts tombés pour la patrie et pour la démocratie. Nous avons été roués de coups de matraques lors de certaines manifestations. Nous avons été maintes fois victimes d’injustice et c’est cette injustice qui nous a donné la rage de vaincre. Bien que Moncef Marzouki n’ait jamais porté plainte – du moins sérieusement – contre ses détracteurs et qu’il ait été fairplay sur certains points durant son mandat, je n’éprouve aucun regret quant à sa défaite aux élections présidentielles, surtout quand il s’est mis à jouer sur la division et sur la haine. Mon choix était celui de l’espoir, comme tout celui de milliers de Tunisiens. Et ce n’est pas si mal de choisir l’espoir, surtout après tout ce que nous avons traversé. « On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance. L’espérance est un risque à courir, c’est même le risque des risques. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter » (Georges Bernanos).