Par Dr.Rejeb HAJI*
Il ne se passe pas un jour dans mon pays sans que les médias nous véhiculent une nouvelle alarmante: au manque flagrant des médicaments, le ministre nous propose son chauffeur pour aller en chercher; à la magouille du choix d’un ministre de l’intérieur, c’est à un vote de confiance que l’on nous renvoi; à une économie d’endettement, ce sont les institutions internationales financières qui doivent s’en charger; à une inflation galopante qui appauvrit encore plus la classe moyenne, c’est à la chute vertigineuse du dinar qu’incombent les raisons; au chômage qui étouffe la jeunesse, c’est aux gouvernements précédents qui doivent rendre des comptes; à l’ absence remarquée des députés en séance, c’est du côté des vacances qu’il faut lorgner; au train qui s’auto-conduit, c’est du côté de la spécificité tunisienne qu’il faut en vouloir; aux déficits des balances budgétaires, c’est du côté des prévisions qu’il faut s’intéresser ; à la morale en politique, c’est l’histoire qu’il faut consulter; à la préservation de l’intérêt national, c’est à Ennahdha, paraît-il, qu’il faut faire confiance, vu sa proximité avec les frères musulmans…
Pour réveiller les consciences, il faut prescrire un peu de drogue pour anesthésier; pour mettre fin à ces amalgames malhonnêtes, par lesquels on voudrait laisser croire que les destouriens ont adhéré à un RCD qui n’a jamais été la continuité de leur parti, il faut patienter, un jour viendra où ils auront le droit de s’exprimer et de se défendre. Ils ne serviront jamais comme une monnaie d’appoint pour des partis sans troupes.
Leur histoire, avec ses soubresauts, demeure leur gloire, alors qu’une alternance hétéroclite, sans feuille de route, a mené le pays au désastre et à la faillite qu’on connaît. Quel dommage que la politique est devenue, dans mon pays, comme une fatigue, comme un dégoût. Une série de questions me viennent à l’esprit :
Comment s’en sortir alors que des ministres, responsables politiques de surcroît, d’idéologies différentes continent à prêcher qu’ils ont la même pensée sur des réformes structurelles à engager ?
Comment une classe politique se congratule-t-elle de sa représentativité, alors qu’elle a reçu un camouflet lors des élections municipales ? Comment bâtir l’avenir sur les mots rien que des mots ?
L’artifice du langage est-il devenu, un autre mal dont souffre notre pays ?
Les parvenus au pouvoir qui se sont succédés, ont changé la donne. Avec l’avènement du coup d’Etat médical et sa dictature abjecte et corrompue, puis le pouvoir de la troïka et son organisation hybride à trois têtes, la nature institutionnelle qu’on croyait pérenne, a été modifiée. Le politique a fait depuis main basse sur l’économique. Le résultat ne s’est fait pas attendre. L’état actuel du pays a de quoi inquiéter : Un pays dirigé en sous main par les institutions financières internationales, un chômage dépassant les limites du structurel, un appétit du pouvoir jamais égalé par des novices, venus même de prison…
Des docteurs « Tant mieux » qui se succèdent à la tête de l’Etat, tout en ignorant la véracité des chiffres qu’il s’agisse du chômage, du budget, de la balance de paiements ou du taux de croissance…Ils croient tromper l’électeur mais en réalité, ils se trompent eux-mêmes.
S’il est compréhensible de calmer l’inquiétude en offrant l’image de la tranquillité, de la continuité et d’autres subterfuges encore, il est souhaitable de veiller à prédire et en même temps prévoir la sortie de crise qui touche à la fois le politique et l’économique. Il faut, à la manière de Bourguiba, s’adresser à la conscience des citoyens, en parcourant le pays, portant la bonne parole et prévoyant des dangers qui guettent son futur.
Le pays est au bord de l’éclatement et l’Etat glisse vers la faillite. Même si les économistes divergent sur la situation actuelle, ils s’accordent tous sur l’urgence de sauver le pays et garantir sa souveraineté, mise à mal par un endettement hors norme et une inflation incontrôlable. Même s’ils divergent sur les remèdes à prescrire, pour lutter contre le chômage, à comparer avec les médecins pour soigner une grippe avec une liste de prescriptions aux noms étranges. Il suffit d’écouter les palabres de certains qui se disent spécialistes de l’économie que la croissance ne pourra augmenter que si l’on réduit la dépense publique alors que pour d’autres, ils soutiennent le contraire; ou à propos du libre échange qui est pour certains la porte du bonheur alors que pour d’autres, il est à origine des inégalités et des désordres; idem sur le niveau des impôts, le coût du travail, la dévaluation du dinar…, et on peut multiplier les exemples où le désaccord est total, déjà entre spécialistes.
Que dire alors, lorsque les politicards s’en mêlent. Ils occupent les plateaux des médias pour ferrailler sur ces sujets, au mépris du bon sens le plus élémentaire et avec étalage d’une ignorance des connaissances acquises…Le débat sur la scène publique entre la vague libérale qui règne sur le monde, depuis près de trente ans, et les défenseurs du keynésianisme ou socialisme seraient judicieux. Ces deux camps qui s’opposent avec parfois des axiomes, en grand nombre se contredisent. Chacun d’eux, avec ses références propres, construit son raisonnement et bâtit ses programmes de gouvernement. Sans compter, chez-nous, les promoteurs d’une voie islamique où la religion et les banques leur font la part belle, citant comme exemple la Malaisie ou encore la propagation des banques islamiques à travers le monde. Les une et les autres défendent en réalité une réalité qui se résume comme suit: l’argent et le partage de la richesse.
Quant à l’économie, elle demeure une science humaine qui ne repose pas sur des lois qu’il est vain de chercher à établir, à travers l’histoire. Le discours produit aujourd’hui est le fruit du libéralisme et de la mondialisation. Avec le vote du Brexit et l’élection de Donald Tromp, une nouvelle page s’annonce celle du retour de l’Etat, de ses frontières et surtout de la protection des intérêts nationaux. Faut-il rappeler que nos entreprises publiques ont été bradées, sous la dictature, par des responsables, qu’on est en droit de poursuivre, pour éclairer l’opinion? Notre pays fragilisé, aujourd’hui, par ses luttes internes pour la conquête du pouvoir doit s’attendre à de nouvelles secousses et la crise que nous vivons doit perdurer encore longtemps, si l’on s’engage pas, au plus vite, à tirer les leçons des échecs du passé. La situation du monde n’est-elle pas comparable à celle que le leader Habib Bourguiba a dénoncée justement dans ses écrits (Articles de presse 1933): » Le concept de la solidarité internationale, qui représente le grand espoir de la société future, ne peut que subir un recul regrettable quand un pays dispose à lui seul d’une force formidable dont il est fatalement tenté d’abuser. » Il faut en prendre acte, en s’engageant dans les chemins du futur! Le temps nous est compté!
H.R
*Dr d’Etat en économie, Dr en statistique, Diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris, Diplômé de l’Institut de Défense Nationale (4ième promotion), premier maire de Melloulèche, Ancien chef de cabinet du feu Ministre Mohamed Sayah…