Par Ghalia Ben Brahim
La journaliste et activiste Saïma Mzoughi nous a reçus pour répondre à nos questions en ce qui concerne, essentiellement, la Femme et son image au niveau des médias tunisiens après la Révolution de janvier 2011. La journaliste vient de décrocher un grand projet avec l’Institut International de la Paix dont le but est de renforcer la notion de la citoyenneté égale et ce via les médias. Pour Saïma Mzoughi, cette image reste défigurée à cause de la mentalité machiste qui atteint la Femme même au niveau des médias…
FM: Vous lancez bientôt un projet qui vise à améliorer l’image de la Femme au niveau des médias, pouvez-vous nous donner plus de détails à ce sujet ?
Le Forum Arabe pour la Citoyenneté dans la Phase Transitoire, parrainé par l’Institut International pour la Paix, nous a sollicités pour la réalisation du projet intitulé ‘Les médias et le renforcement de la notion de la citoyenneté égale en Tunisie’. Ce projet vise à renforcer le rôle des médias dans la mise en valeur de la notion de la citoyenneté égale. Son rapport final entreprendra les actions de la Femme en tant que citoyenne active, influente et leader pendant et après les soulèvements arables. Notre travail se réalisera sur deux points essentiels :
• Les médias et la Femme active dans les partis politiques, au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple, dans l’appareil judiciaire et dans les organismes et associations.
• La Femme active au niveau des médias (écritset audio-visuels).
Le rapport final du projet mettra en place une série de stratégies destinées à rendre les plateaux médiaux un outil pratique dans l’amélioration de l’image de la Femme et ses contributions en tant que citoyenne active pendant et après les Révolutions arabes.
Par ailleurs, ce rapport veillera à présenter une base informatique de la campagne médiatique qui sera la deuxième étape de notre projet et qui traitera essentiellement de :
• Le rôle des médias dans la mise en valeur de la notion de la citoyenneté égale.
• Supervision des différents supports médiatiques et de leur contenu.
• Analyse des données regroupées en donnant des réponses à la question suivante : est-ce que les médias garantissent la mise en valeur de la notion de la citoyenneté égale ?
FM: Pourquoi accorder tant d’importance à l’image de la Femme dans les médias ?
Si la Femme Tunisienne était aux premiers rangs au cours de la Révolution, et qu’elle continue à travailler côte à côte avec l’homme pour dessiner l’image future de notre patrie, aujourd’hui, cette dernière peine à démontrer ce rôle primordial qu’elle détient dans cette transition démocratique au niveau des médias. Par ailleurs, les sociétés médiatiques ne cherchent pas vraiment à démontrer l’égalité homme/femme et ce dans ces différentes programmations. La présence féminine dans les plateaux télévisés et radiophoniques après la Révolution s’affaibli de plus en plus au profit de la domination des hommes. Cela peut provoquer un retour en arrière intellectuel et culturel qui menacera les conditions de la Femme Tunisienne. C’est pour cela qu’on essaie de mettre en place une stratégie bien élaborée pour remédier au manque de la présence de la Femme sur les plateaux et à la quasi-absence des sujets osés traitant des conditions réelles de la Femme. Si les différents organes médiatiques continuaient sur cet élan, cela pourrait même devenir une menace pour la transition démocratique et sera un obstacle contre l’évolution du concept de la citoyenneté. On ne peut pas parler de construction démocratique sans une participation effective de la Femme, il ne faut pas travailler uniquement sur la reconnaissance des Droits de la Femme mais travailler aussi, et surtout, sur l’élimination de toutes formes de discrimination entre les deux sexes.
FM: Quels sont les objectifs à moyen et long-terme de ce projet ?
Notre premier but est de mettre en place une base de donnée concernant l’image de la Femme Tunisienne active et influente pendant et après les Révolutions Arabes. Une phase qui a connu beaucoup de soulèvements et d’expériences. Notre projet veillera à garantir un effet direct sur la vulgarisation de ce concept. On fera en sorte que notre cible reprenne le flambeau et commence, à son tour, à diffuser ce concept. Par ailleurs, on ne compte pas travailler sur les zones urbaines uniquement mais on ira, aux dépends de nos moyens, travailler dans les milieux campagnards.
FM: Comment est représentée la Femme Tunisienne dans les médias jusqu’à présent ?
Il suffit de suivre un peu les émissions télévisées pour remarquer qu’il existe une collaboration occasionnelle avec les dossiers concernant la Femme. La plupart des émissions sont classiques et ne portent pas de volonté profonde pour mettre en place un projet qui viserait à l’amélioration des conditions de la Femme et pour diffuser des messages alternatifs dans le cadre de la sensibilisation de l’opinion publique quant à la notion de la citoyenneté égale. La plupart des émissions, pour ne pas dire toutes les émissions, agit avec les dossiers de la Femme en tant que produit commercial considéré avec un œil machiste. On n’y cherche que le sensuel pour attirer l’audimat sans se soucier des messages qu’il faut faire passer et sans respecter l’entité de la Femme et sa dignité. On semble oublier que la Tunisie ne pourra se sauver qu’à travers ses femmes, dans un premier temps. Les médias ont une grande influence sur la société et peuvent émettre tous les messages souhaités. On espère que les députés de l’ARP et les différents acteurs de la société civile prennent part de ce projet.
FM: Quelles sont les émissions qui nuisent à l’image de la Femme ?
Les médias ne se soucient pas de l’image de la Femme et certains vont même jusqu’à défigurer cette image. On ne représente la Femme en tant que retardée mentale, sans compétences et inactive politiquement et socialement. Quand la Femme prend la parole, elle n’a pas l’attention qu’ont les hommes quand ils s’expriment. Cela se passe d’une façon qui frôle l’inconscient et il faut absolument que cela change. On peut citer l’une des émissions de télé-réalité, qui, soit-dit en passant, traitent de problèmes dont souffre réellement notre société. Sauf que le présentateur de l’émission, et à maintes reprises, fait passer des messages extrêmement négatifs à l’encontre de la femme. Des messages qui nuisent beaucoup à l’image de la Femme et, malheureusement, il n’en est même pas conscient vu qu’il est lui-même victime d’une culture populiste. Nous le sommes peut-être nous aussi par moment. Il faut instaurer la culture de l’autocritique pour que l’on puisse avancer.
On entend plusieurs journalistes dire que l’affaire de la Femme est prématurée, que ce n’est pas le moment d’en parler et d’en débattre. Cet ‘argument’ nous a été exposé avant la Révolution, on nous disait que la priorité était à l’instauration de la démocratie, maintenant que cette dernière est bien installée, pourquoi ne pas aborder sérieusement la question ? Ils répètent encore que les Droits de la Femme ne peuvent être priorités et que d’autres dossiers sont plus importants qu’eux. Ce discours a un unique but ; celui de faire oublier l’affaire de la femme et de son égalité avec l’homme. Nous souhaitons que la société puisse faire un réel changement pour que l’égalité homme/femme soit réellement instaurée, parce que jusqu’à présent, nous vivons une égalité superficielle et non pas une vraie égalité.